Philosophie
Petit lexique très personnel
Ce lexique pourrait s’appeler « Pensées », puisqu’il est fait de phrases éparses du professeur Maurice Marois, regroupées par thème et présentées par ordre alphabétique.
Apprendre à vivre, les cinq règles :
1. Goûter le présent.
2. Rejeter l’image du feu qui s’éteint, ne pas tuer au fond de son coeur, par résignation trop lucide, l’espérance.
3. Aimer l’avenir au point d’entreprendre. Aimer les temps futurs qui se réaliseront sans moi et vouloir préparer leur avènement.
4. Accepter de n’être qu’un moment d’une continuité et la tristesse de la fin peut faire place alors à la sérénité conquise d’un destin accepté.
5. Jouir des biens qui se situent hors du temps, je veux dire la connaissance et l’amour. La connaissance : continuer d’explorer l’univers qui nous entoure et parfaire ainsi notre représentation du monde. L’amour car en aimant nous pouvons vivre des minutes d’éternité.
Ascèse : elle n’est pas mortification mais contrainte voulue, consentie au nom d’exigences intérieures.
Avenir : où allons-nous ? Vers la mort si nous n’y prenons garde, vers la vie si nous le voulons ; et nous le pouvons… La réponse ne m’appartient pas : elle est de l’ordre de la résignation, de l’espérance ou de l’incantation.
Choix : Modifierons-nous radicalement notre propre définition ? Quel type d’homme voulons-nous ?
- Un homme promis à l’engloutissement dans la termitière et à l’abdication de son identité-même qui en fait un être à nul autre pareil ? Il sera alors dépossédé du droit de se perpétuer. Son image devra répondre à celle d’une efficacité sans visage ni génie. L’inattendu sera banni dans une planification qui ira jusqu’à l’ineffable.
- Si l’espèce choisit de survivre, elle est tout près de découvrir l’amour comme unique voie de salut non plus individuel mais collectif.
Les options de la liberté de l’homme mettent en cause le destin physique de l’espèce et la définition-même de l’homme.
Croire : Ceux qui ont la grâce de croire situent dans leurs perspectives les événements de leur propre vie et de l’histoire. Le mot « destinée » est pour eux riche de sens. Ils construisent avec confiance le Royaume.
Espérance : L’espérance est une coloration de l’âme habitée par la certitude d’un accomplissement.
Fraternité : Tendresse chargée d’espoir, qui veille sur la vie qui veut vivre.
Grandeur : La grandeur n’est pas la démesure. Il n’est pas de grandeur dans l’horrible. En quoi l’homme est-il grand : par la puissance de l’intelligence et la force de l’espérance – en un mot, par l’esprit. Atteindre à la grandeur par le service d’une grande cause. Pas de grande cause qui ne soit au service de l’homme et de la vie.
Hérésie : « Opinion opportune par laquelle l’esprit se masque à lui-même son abdication devant la dureté du réel et la rigueur du vrai. » (Étienne Borne).
Humain : L’humain dans l’homme, c’est la liberté et c’est l’esprit, c’est la participation consciente au mystère de la vie qui nous porte et dont nous ne sommes qu’un moment fugitif entre deux éternités.
Liberté : La liberté, au moment où j’écris son nom, ouvre l’avenir. Car seul est ouvert à ma liberté et à mon espoir le temps qui vient.
Lien : L’homme ne saurait être pleinement lui-même s’il n’est relié au cosmos, à la vie, aux humains, à l’invisible.
Méditation : Toute méditation sur la vie débouche sur le mystère.
Mort : La mort est la servante de la vie, par le recyclage de notre dépouille qui servira à construire de nouvelles vies et par l’éclairage qu’elle projette sur notre propre vie. Je voudrais savoir, au nom de l’homme total, regarder la mort en face et proclamer la vie.
Optimisme : Le chant d’optimisme qui s’élève devant les victoires de la science, devant les perspectives de l’âge d’or ne nous fait pas oublier le tragique fondamental de la condition humaine. Rien n’est assuré. Et nous restons pauvres, nus et seuls devant la mort.
Paix : La paix, visage radieux de la Vie.
Patrie : Notre patrie n’est pas seulement nationale et terrestre. Elle est la vie.
Philosophie : Il y a plusieurs façons de la définir.
- Celle qui fait confiance à l’homme dans toute ses dimensions, qui croit en sa grandeur, qui respecte le beau, le bien, le vrai, et qui ose poser le problème des fins. Science suprême car elle analyse, synthétise, remet perpétuellement en question.
- Elle éveille les consciences à leurs responsabilités, normalise avec prudence.
- Elle est l’esprit qui interroge, la conscience qui délibère, la sagesse qui se forge, s’enrichit et éclaire l’avenir.
- La philosophie de la vie donne une signification de la vie dans l’univers, prélude à une philosophie de la condition humaine, philosophie de la valeur de la vie afin de définir ce que c’est que d’être homme. Agir en sorte que des êtres réalisent ce minimum de conscience, de dignité, de bonheur qui fait que la vie mérite d’être vécue. D’où un double problème : déterminer à quelles conditions matérielles et morales une vie est désirable et respectable, dire comment réaliser ces conditions.
Pouvoir : Tout pouvoir doit être ordonné à la connaissance, et la connaissance à l’amour.
Responsabilité : « la responsabilité repose sur celui qui prend l’initiative et sur celui qui, consciemment, participe à cette initiative. » (Mgr. Géraud).
Rivalité : Il n’y a pas de rivalité entre Dieu et la science car Dieu est seul maître. La recherche n’est que l’épanouissement du don délégué par Dieu à ses fils. Cette recherche n’a de valeur que tant que l’on ressent la douceur de se donner et que l’on a l’éclatante force d’espérer.
Science : La science est la quête de tout le réel œuvre de Dieu, par les moyens de connaissance que Dieu a donné à l’homme. Tête chercheuse de l’humanité, la science refait en sens inverse le cheminement du Verbe créateur. En inventoriant le monde, elle s’approche le plus de l’idée que Dieu s’est fait du monde en le créant. Elle est tout près de découvrir l’amour comme unique voie de salut. Elle est tout près de rencontrer l’inconnaissable au terme de son voyage à la marche extrême de l’inconnu.
Sens : Le sens de la vie ne peut être que l’épanouissement de toutes les potentialités que nous portons en nous.
Technologie : Le choix raisonné d’un système technologique présuppose une certaine conception de ce qui est bon pour la société, conception qui reflète généralement les intérêts de l’autorité qui fait le choix.
Vie : Il existe tant de façons de la définir !
- La vie, ensemble des forces qui résistent à la mort ?
- La vie, lutte contre la montée de l’entropie qui aboutit à l’équilibre thermodynamique final, à la mort ?
- La vie, vérité immédiate, principe simple et incontestable, bien premier, facteur d’unité, unique trésor du monde vivant. Mystère innommé.
- La vie impose l’idée d’une volonté et d’une métamorphose sans fin.
- La vie, visage radieux de la paix.
- La vie est notre patrie.
Vieillesse : La condition psychologique et morale du troisième âge est le reflet de la vie intérieure qui a nourri au long d’une vie les réflexions intimes d’un être. Lorsqu’un vieillard connaît l’exil, il y a fort à parier qu’il était en exil de lui-même dans sa jeunesse et sa maturité.
La Vie, la Nature et l’Homme
Dialogue avec un philosophe
Par Maurice Marois, Professeur à la Faculté de Médecine de Paris,
Fondateur de l’Institut de la Vie
1985 – EXTRAITS
Je suis un homme de science, un biologiste. Me voici dans une situation insolite, puisque je comparais devant un philosophe. Je crois nécessaire et fécond le type de dialogue qui pourrait s’instituer entre nous. La philosophie est pour moi la science suprême car elle analyse, synthétise, remet perpétuellement en question. Elle s’interroge sur le sens de notre destin. Elle éveille les consciences à leurs responsabilités, normalise avec prudence. Mais la philosophie ne se nourrit pas seulement d’elle-même. Elle entretient le processus de création intérieure grâce aux données toujours plus nombreuses que lui apportent les acquisitions de la science et les conquêtes de la pensée. Dans cette longue marche qui ne s’achèvera qu’avec l’homme, sa contribution est fondamentale : elle est l’esprit qui interroge, la conscience qui délibère, la sagesse qui se forge, s’enrichit et éclaire l’avenir. J’attends de la philosophie qu’elle situe la science dans sa dimension plénière. En retour, la science, pourvu qu’elle consente à porter sur elle-même un regard modeste, peut brosser le tableau de l’univers, la fresque de l’histoire de la vie et de l’homme et lancer à la philosophie un défi fraternel sur les enseignements qu’elle en tire. Puisque vous m’avez fait l’honneur de m’inviter, vous attendez de moi que je commence immédiatement cet exercice passionnant mais difficile. […]
La vie est notre patrie.
Nous sommes un moment dans la continuité d’une aventure. […]
Si les organismes vivants « font de l’avenir », si l’avenir est le seul domaine où la liberté se déploie, si les chemins de la vie sont aussi ceux de la liberté, si l’un des traits de l’homme est de faire l’histoire et non de la subir, alors la liberté avec l’homme s’incarne dans la création et prend possession du monde.
Destin grandiose, destin tragique si l’homme n’est pas égal à lui-même. [..]
À ce point de mon itinéraire, je voudrais chanter la vie et l’homme. […]
Proclamer la vie comme valeur première me semble la plus urgente exigence de notre temps. […]
L’affirmation de l’être a pour complément l’affirmation de la nécessité du lien : car l’homme n’est pas autonome. Il appartient à l’univers dont il est un morceau pensant et souffrant. Il procède de la vie dont il est, dans l’histoire multimillénaire de l’évolution, l’actuelle forme suprême. Il appartient à l’espèce humaine dont il est solidaire.
Notre devoir majeur est de maintenir l’héritage de la nature.
La terre connaît la soumission du monde vivant et matériel à la volonté de l’homme. Jadis les cataclysmes géologiques firent disparaître les espèces. L’homme peut désormais provoquer des cataclysmes de mêmes dimensions. Il arrache la forêt de la surface de la terre et il lui substitue des déserts. Il supprime des biotopes millénaires où des espèces s’étaient maintenues dans des conditions de milieu qu’il bouleverse. Il provoque l’extinction d’espèces animales et jusque de certaines races humaines. Il compromet dès aujourd’hui sa propre descendance par les dommages génétiques qu’il inflige aux chromosomes de ses cellules germinales. Il peut, par l’explosion de l’atome, abolir toute forme de vie sur la terre.
Aujourd’hui, l’air, l’eau des rivières et des lacs, l’eau des océans, les sols, les ressources renouvelables et non renouvelables, les équilibres naturels, la faune, la flore, l’environnement physique, biologique, social, culturel sont gravement compromis. Et la planète souffre et souffrira des conséquences des pluies acides, de la diminution de la couche d’ozone, de la désertification, du réchauffement de la température, de l’extinction des espèces.
L’utilisation des combustibles fossiles libère massivement du gaz carbonique et provoque ainsi un réchauffement de la température. La conséquence prévisible est une élévation du niveau de la mer qui pourrait atteindre soixante centimètres en un siècle. Cette élévation submergerait les habitations de millions d’habitants.
L’ensemble des gènes du monde vivant représente une ressource irremplaçable d’une immense valeur pour les générations futures. Ils se sont développés et diversifiés pendant plus de trois milliards d’années. Ils subissent une grave érosion : un grand nombre d’espèces disparaissent. Ces disparitions s’effectuent à une telle vitesse qu’au moins un cinquième de toutes les espèces vivantes, plantes, animaux et êtres plus petits serait anéantis sous nos assauts au cours des trente prochaines années.
La qualité de la vie humaine est étroitement liée aussi aux valeurs culturelles et aux sagesses humaines souvent codifiées dans les religions, les philosophies, le droit. Les créations de l’esprit : l’art, l’architecture, la peinture, la sculpture, la prose, la poésie et la musique constituent le patrimoine de l’humanité. […]
La dialectique de l’homme et de la nature peut être dépassée par la réconciliation avec cette nature à laquelle il appartient et dont il n’est pas totalement possesseur. Nous l’asservissons. Nous pouvons la libérer en la respectant. Ce respect est indispensable à la survie. Les contraintes du réel imposent le frein à la violence, la nécessité de la sagesse, la limitation des débordements, la maturité responsable. Ici, la motivation de l’éthique est double : la nécessité première de vivre, primum vivere, mais aussi l’appel d’une pensée supérieure, organisatrice, expression d’un souverain bien, pensée inspirée par l’amour. Il est significatif que la dialectique de la vie et de la mort s’exprime en grec par la formule « Eros et Thanatos ». […]
La volonté s’aiguise de ne pas laisser l’homme saccager et détruire la vie dont il est désormais comptable.
Que pourrait être le rôle de la science ?
La science enrichit notre vision de l’univers, de la vie et de l’homme. Elle rend chaque homme plus conscient de sa petitesse et de sa grandeur. Elle nourrit la réflexion du philosophe et du moraliste. Elle éclaire les décisions des gouvernements modernes. Elle sous-tend l’activité industrielle. Elle ne peut pour autant prétendre à se substituer au philosophe, au moraliste, au responsable politique ou au chef d’industrie. Le pouvoir qu’elle exerce est d’une autre nature : il est le pouvoir de la pensée qui explore l’univers et modèle les applications technologiques de ses découvertes fondamentales.
Les hommes de science s’adonnent à l’observation du réel, à la recherche permanente des lois de la nature, c’est-à-dire d’un ordre intelligible. Leur attitude est d’interrogation incessante. Ils sont accoutumés à la rigueur du raisonnement : tout manquement est sanctionné par le démenti et l’échec. Quelques certitudes rassurantes les habitent ; réalité de l’objet étudié, valeur et efficacité de l’esprit rompu à l’analyse, la synthèse, la systématisation, la symbolisation. Leur quête s’est donné un objet d’une fabuleuse richesse : le réel organisé, et un instrument efficace : la raison adaptée à cette quête. Ainsi sont réunies les conditions d’un accomplissement heureux.
En fait, le succès vient sanctionner la démarche de la science. Le réel se laisse cerner et l’esprit se nourrit d’une vision enrichie de l’univers. Autre critère d’efficacité : la science donne aux hommes l’empire sur le monde.
Les hommes de science exercent un très grand prestige car ils détiennent le savoir. Leur combat est celui de l’intelligence. Prométhées du XXème siècle, ils incarnent la forme la plus haute de l’effort humain pour étendre l’empire de l’homme et changer la vie. Ils sont le symbole du défi et du refus : défi de l’esprit engagé dans le grand combat de la connaissance, refus de considérer comme définitive l’actuelle condition humaine.
La science chasse les ombres de fantasmes utopiques. Aux espérances sécrétrices de millénarisme, elle apporte une réponse concrète et non décevante.
Les savants sont conscients de la puissance de la science. Ils forgent l’instrument de la révolution et ils découvrent soudainement que l’instrument est plus grand que l’homme. Ils sont les accoucheurs du futur. Et ils s’inquiètent.
La science est un instrument du destin humain pour le meilleur et pour le pire. Sa justification à prendre part au grand débat pour une stratégie de l’humanité, est le caractère universel de sa démarche, la rigueur de sa méthode, l’importance du capital de connaissances qu’elle crée et qu’elle détient, le mouvement qu’elle imprime à la condition humaine en bouleversant la situation de l’homme sur la planète par l’usage bienfaisant ou périlleux de ses résultats. Dans la conscience du savant, héros et démiurge, se vivent de la manière la plus intense les drames et les chances du monde. Et il n’est pas indifférent que la science participe à la mutation de ce monde douloureux et magnifique.
La mise en ordre rationnel du monde ne sera jamais achevée. Toujours de nouvelles utopies hanteront les rêves de l’homme créateur de mythes, toujours de nouvelles terres inconnues surgiront, offertes à l’esprit de conquête, toujours de nouveaux prophètes se lèveront et exerceront leur fonction de vigilance et d’éveil aux postes avancés de l’humanité, toujours l’individu exprimera son unicité, toujours les artistes exprimeront ce qui n’appartient qu’à eux en réalisant une œuvre unique à l’image de leur être irremplaçable. Enfin le chant d’optimisme qui s’élève devant les victoires de la science, devant les perspectives de l’âge d’or ne nous fait pas oublier le tragique fondamental de la condition humaine. Rien n’est assuré. Et nous restons pauvres, nus et seuls devant la mort.
Dans la conscience collective, se dessine l’idée d’une existence et d’une histoire communes que la mort peut transformer en destin.
Voici que la mort omniprésente étend sa menace à l’espèce toute entière. Face à cette menace globale, la mémoire collective évoque la longue marche de la vie, son combat, sa résistance aux forces de destruction et sa victoire toujours remise en cause. Et la volonté de vivre esquisse sa riposte.
L’accélération de l’histoire déporte vers des situations limites l’humanité toute entière, avec ses savants, ses hommes de gouvernement, ses philosophes et le plus humble des mortels. Dans ces situations, les solutions traditionnelles sont inadaptées. Le temps est révolu où l’humanité semblait « faite de plus de morts que de vivants » (Anatole France). Désormais, l’homme est habité par plus de projets que de souvenirs. Son passé n’est plus qu’une étroite frange du présent. Son avenir le happe tout entier. Liberté ou errance ? […]
Dans le tumulte de l’histoire contemporaine, on perçoit l’attente d’une nouvelle renaissance, je veux dire de ce qu’il faudra bien appeler un humanisme des temps nouveaux qui doit donner un sens à nos vies et régler nos conduites. Il puisera sa lumière à deux sources : la reconnaissance de la valeur de la vie, l’affirmation de la grandeur de l’homme, libre et responsable. […]
Au-delà de l’ivresse scientifique et technique, l’accélération de l’histoire propose à notre génération une tâche grandiose. Dépasser l’angoisse pour rejoindre les certitudes : non pas « la patrie tranquille où la mort est un silence heureux » selon la formule d’Albert Camus, non pas les enchantements de l’Olympe des Héllènes, pas davantage le dolorisme qui donne la première place à la douleur humaine et substitue au Zeus de Phidias l’homme de douleur de Mathias Grunwald, mais une vision plus sereine qui intègre le respect de la vie et l’acceptation de la mort, la joie et la douleur, le succès et l’échec, le passé et l’avenir, la connaissance et l’amour, l’esprit d’entreprise et l’esprit de perfection, la contemplation et l’action, l’éphémère et l’éternel, la parcelle et le tout, l’atome et l’univers, le zéro et l’infini. […]
L’Institut de la Vie fait appel à ce qui est le plus élevé en l’homme : la liberté, et à ce qui est le plus élémentaire, je dirai le plus viscéral : l’instinct de conservation. Ce qui permet d’unir dans une même pensée et dans une même action les préoccupations du corps et de l’esprit pour maintenir l’intégrité de la vie biologique et affirmer les exigences de la vie de l’esprit, ce qui permet encore de rejeter avec une rigueur intransigeante tout attentat à l’intégrité de l’espèce et de l’individu, toute modification de l’environnement humain qui compromet l’épanouissement biologique et spirituel.
Car l’homme ne se récapitule pas dans un ensemble de besoins matériels. La faim et la soif sont-elles apaisées, d’autres faims et d’autres soifs appellent. L’aspiration à la justice reçoit-elle une première réponse, d’autres aspirations élèvent leurs revendications : l’exigence morale, le don gratuit, l’amour.
Nous refusons le pessimisme radical invitant à brûler l’instant au brasier de l’ultime fête et notre espérance n’est pas utopie.
Un monde meurt, un autre naît. Même si nous sommes attentifs aux signes du déclin, nous le sommes plus encore à ceux de la naissance et du renouveau. Nous sommes plus sensibles aux palpitations de l’aube qu’aux derniers feux du crépuscule.
Certes, le défi est immense que lance le siècle. Et le vertige peut saisir les plus lucides.
Mais, au sein de l’Institut de la Vie, il renforce ceux qui ont pris la mesure de l’homme pour avoir pris la mesure de l’histoire de la vie, histoire forgée par trente millions de siècles et que soixante millions de siècles appellent. Éduqués par cette fabuleuse histoire, ils savent la volonté d’être, l’opiniâtreté, les ressources de la vie et ils misent sur la force de l’esprit pour conjurer ce que la faiblesse et le sentiment de la mort appellent la fatalité ou le destin tragique.
Cette volonté de comprendre, de prévoir et d’agir, sous-tendue par l’admiration et l’amour de la vie, anime l’Institut de la Vie pour les plus grands accomplissements de l’homme.
L’avenir appartient à la volonté de vivre des peuples. Chaque peuple détient une parcelle de l’espérance de vie, une frêle étincelle. Toutes ces étincelles peuvent être rassemblées en un immense brasier.
À côté des grandes forces politiques, économiques, syndicales, scientifiques et technologiques, un jour surgira des profondeurs une force primitive élémentaire, la vie qui veut persévérer et qui se sent aujourd’hui obscurément menacée. C’est cette force élémentaire qui a pris dans certains mouvements de jeunes la forme de la contestation radicale. C’est cette force qu’il importe aux hommes de responsabilité d’arracher aux pulsions irrationnelles ; c’est à cette force qu’il convient de donner une expression rationnelle et constructive.
La vie pose désormais des problèmes politiques ; c’est un avènement ; la nécessité d’assurer la sécurité biologique prend place à côté des autres nécessités. Le jeu politique sera de plus en plus commandé par la prise de conscience générale des besoins biologiques de l’homme mais aussi de ses besoins qualitatifs, esthétiques, spirituels.
L’Institut de la Vie est un acte de psychologie totale. Face à l’ivresse sanglante des paroxysmes où triomphe la mort, il organise un autre paroxysme, celui de la vie.
Il ne s’agit nullement d’une exaltation collective mais d’une communion lucide, joyeuse et grave dans l’ardente affirmation de la volonté de vivre.
UNE VIE DIGNE D’ÊTRE VECUE
Par Maurice MAROIS, 1986.
Quelles sont les forces en présence ?
D’un côté, un certain mouvement de l’histoire routinière, un dynamisme mécanique de la vitesse acquise et que l’escalade accélère. Des forces gigantesques sont à l’œuvre ; leur affrontement entraînerait la destruction de l’espèce.
Il n’entre pas dans nos propos de décrire ces forces, leur légitimité fondée sur les valeurs qu’elles entendent défendre, leur justification établie sur la logique d’une longue tradition de l’histoire. Cette tradition a pour nom l’équilibre des puissances et l’acquiescement à la violence si la nécessité s’impose.
De l’autre, une aspiration des hommes à vivre une vie digne d’être vécue, ce qui implique deux exigences :
- La première, de base : la vie, donc son maintien ;
- La seconde, tout aussi impérieuse : les raisons de vivre.
L’adage latin affirmait : primum vivere, deinde philosophare. Je voudrais le remplacer par Primum vivere et philosophare, refusant de relativiser l’essentiel.
Aspiration irrépressible. Droit inaliénable.
Pendant plus d’un quart de siècle, l’Institut de la Vie a voulu donner une voix à la volonté de vivre des hommes, de vivre dans la dignité, et à la conscience de la science.
Sa préoccupation constante fut :
- La science témoin de la grandeur de l’esprit,
- La science bienfaisante,
- Science, puissance et sagesse.
De quoi s’agit-il : une organisation active depuis un quart de siècle a osé avec une audace tranquille saisir l’instant fugitif où les Chefs des deux États les plus puissants de la terre échangent leurs vues sur la situation du monde. Elle a écrit le 12 février 1986 au Président Reagan et au Secrétaire Général Gorbatchev pour leur proposer un défi et un thème :
- Un défi historique, le oui à la vie après le non à la mort.
- Un premier thème de coopération internationale, la contribution de la science au service de la vie.
L’audace extrême était justifiée puisque les deux Chefs d’Etat ont répondu. Ces réponses donnent au thème de la vie sa noblesse politique. Les perspectives offertes sont monumentales. Il nous faut, sans illusion lyrique ni sous-estimation fatale, être égaux à l’événement que nous avons créé.
Nous avons pris l’engagement de formuler un programme. Nous n’allons pas le déterminer en totalité en un jour ni même en une semaine. Nous pouvons seulement en dessiner les grands traits et proposer la mise en place d’une structure flexible, efficace, permanente.
Certes, le dialogue est inégal.
Qui sommes-nous ? Quelques hommes.
D’où tenons-nous notre force ? De la vie dont nous sommes une expression, de la pensée dont l’exercice fait la grandeur de tout homme, de l’espoir car le futur polarise le présent, de l’idéal partagé, du courage, de la lucidité, de l’objectivité, de l’absence d’esprit polémique, de la volonté de construire, du refus de se constituer en groupe de pression. Car ce mot restrictif n’est pas adapté à la dimension de l’enjeu ni à la qualité des acteurs (à moins de considérer l’humanité toute entière comme le groupe de pression des vivants qui veulent survivre et s’épanouir), d’un certain style enfin dans le choix des moyens.
Il faut une réponse adaptée aux défis de notre temps.
La suprême audace sera le suprême réalisme. Un jour viendra où l’humanité déposera son vêtement d’acier. Ce jour semble proche : il sonnera à l’horloge de l’histoire. L’humanité sera solidaire sous peine de disparaître.
« Votre ambition me donne le vertige » m’a dit un de nos collègues des États-Unis. Ce qui me donne le vertige, c’est la démesure. Ces forces qui sont à l’œuvre. Communauté de péril, communauté de destin, communauté d’espérance. Il n’est pas de problème créé par l’homme auquel il n’est apporté de solution. La science est le suprême défi ; elle est la révolte contre les antiques fatalités. Elle déplace les limites du possible. Et les hommes de science, acteurs de la révolte et artisans de son succès, sont bien placés pour relever le défi nouveau : celui de la survie et de l’épanouissement. Mais, ils ne peuvent le faire qu’en s’appuyant sur une force, la volonté de vivre des hommes, sur une philosophie, celle qui fait confiance à l’homme dans toutes ses dimensions, qui croit en sa grandeur, qui respecte le beau, le bien, le vrai, et qui ose poser le problème des fins. Ces mêmes hommes de science mieux que quiconque situeront l’homme dans l’aventure de la vie au cours des millions de siècles passés et sauront scruter les millions de siècles à venir auxquels l’humanité est promise. Embrasser d’un coup d’œil l’espace et le temps, le cosmos et l’avenir.
La devise de la chevalerie française est : « L’arc et la flèche encore un peu plus oultre ». Les hommes de science sont les chevaliers des temps modernes. Allons un peu plus oultre, allons plus vite que l’histoire. Imaginons que l’humanité ait abandonné son vêtement d’acier : alors, s’ouvre à la vie l’avenir fabuleux. Hâtons l’avènement de ce moment en mobilisant les forces de la vie, les forces de la joie. Accomplissons la révolution du bonheur humain. Accomplissons l’homme.
Notre génération a vécu les plus grandes révolutions que l’humanité ait jamais connues. Les hommes ici rassemblés ont accompli quelques unes de ces révolutions ou y ont contribué. De quel surcroît de prestige ne marqueront-ils pas leur propre nom et l’histoire de leur temps en ouvrant eux-mêmes les portes du futur avec les clés de l’esprit et de l’amour.
Dialogue de la science et de la puissance.
La science sécrète la puissance. La puissance doit être utilisée avec sagesse : la sagesse politique. Éclairons-la.
La circonstance que nous vivons est une circonstance d’exception, puisque par leurs lettres, les Chefs d’État des deux superpuissances ont donné à la vie sa noblesse politique.
Nous n’avançons qu’à coup de défis relevés.
L’Homme à la Conquête de l’Espoir
Par Maurice MAROIS
Professeur à la Faculté de Médecine de Paris, Président Fondateur de l’Institut de la Vie
Allocution devant la Société genevoise d’Utilité Publique
Genève, 15 février 1979
L’Espoir est une constante de l’homme. Il nous habite. Nous n’avons pas à le conquérir, mais quelquefois à le reconquérir. L’Espoir est lié à la volonté passionnée de la vie qui veut vivre et s’épanouir, la vie qui obstinément s’est maintenue sur la terre pendant des millions de siècles en dépit de toutes les vicissitudes, la vie qui fait de la mort sa servante.
Le 20 septembre 1977, un homme disparaissait : le Pasteur Georges APPIA. Devant sa famille dont j’admire la haute stature spirituelle, j’évoque avec respect sa mémoire. Le Pasteur laissait un message d’outre tombe : « Aidez S.O.S. Amitié », l’organisation française des services de Secours par Téléphone, homologue de la « Main tendue » en Suisse. Le message dépassait les frontières. Nous l’avons perçu et c’est l’ensemble de ces services partout sur la terre qui fut distingué par un prix de 250000 Francs de l’ INSTITUT DE LA VIE décerné à trois pasteurs, le Pasteur Renald MARTIN de Genève, le Pasteur CHAD VARAH de Grande Bretagne, et le Pasteur Alan WALKER d’Australie.
Le suicide que combattent ces services avec tant d’humanité et d’amour, est la négation de la vie. L’INSTITUT DE LA VIE avait le devoir de regarder en face ce drame humain et social pour tenter de comprendre le désespoir qu’il porte, la condamnation qu’il formule, l’espoir qu’il appelle. Parce qu’il est la négation et la protestation absolues au prix du renoncement à la vie, il nous interpelle d’une manière absolue.
Les grandes voix tragiques de notre temps célèbrent le malheur, chantent le désespoir, proclament la mort et invitent au néant. Quand les raisons de vivre s’engloutissent dans le bruit, la fureur et les larmes, alors le désespoir s’empare du monde. Et le naufrage menace non plus seulement l’individu mais l’espèce toute entière.
Devant la laideur, l’horreur, le malheur, la réponse peut être de résignation ou de remise en cause. Cette remise en cause invite à identifier les valeurs essentielles. Elle peut déboucher sur la violence qu’Alain PEYREFITTE appelle le cri des muets, le cri des perdus, sur la guerre, sur la révolution. Échapperons-nous à l’alternative tragique de la résignation ou de la violence et trouverons-nous les voies de la réconciliation ?
Réconciliation de l’homme avec lui-même par un acte de confiance dans sa grandeur, réconciliation de l’homme avec son avenir car il n’y a pas de problème créé par l’homme auquel l’homme ne puisse trouver sa solution : il n’y a pas de fatalité, hormis la fatalité ultime de la mort. Contre le sentiment de la fatalité et du retour du tragique, tenter de trouver des solutions technologiques, découvrir que nous avons prise sur le réel. Nous pouvons transformer le monde et changer la vie.Réconciliation avec la nature. Réconciliation avec l’espérance elle-même : ne pas tuer la petite fleur espérance : « soyez toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous » (Saint Pierre).
L’espérance est une coloration de l’âme habitée par la certitude d’un accomplissement. L’espoir est de l’ordre de l’histoire et du temps : c’est un projet concret. L’espérance est intemporelle, l’espoir est temporel. Mais espérance et espoir sont indivis comme l’homme est indivis, temporel et intemporel, selon la belle formule de SAINT JOHN PERSE.
L’espérance et l’espoir invitent à chasser la peur et à prendre confiance.
L’optimisme est nécessaire.
L’histoire de l’humanité a toujours été traversée par de grands courants d’optimisme, tant il est vrai que l’homme a besoin d’espérer : l’optimisme chrétien (le Bien et le Mal ne sont pas sur le même plan, le Bien remportera la victoire sur le Mal et le manichéisme est une hérésie), l’optimisme marxiste, l’optimisme des religions mexicaines qui constatent que les dieux ont raté la création et qu’il convient à l’homme de coopérer, l’optimisme scientiste et son idéologie du progrès. L’idéologie du progrès se fonde sur la rationalité technique : accroître le savoir pour faire grandir le pouvoir, produire pour consommer. Et c’est un fait que de notables progrès ont permis certaines émancipations : abolition de l’esclavage, meilleur statut de la femme, réduction du travail répétitif et machinal qui ne représente désormais que 2% du travail humain aux États-Unis. L’optimisme s’exprime encore dans les utopies : et les utopies d’hier deviennent les réalités d’aujourd’hui.
Ces attitudes d’espoir doivent être tempérées par la nécessité de la mesure et de la sagesse. L’espoir scientiste peut se réaliser dans la démesure, dans l’ubris qui caractérisent les excès de la volonté de puissance. Même mesure dans la vision réaliste qui nous gardera des désenchantements. Il conviendra d’intégrer les rechutes, les limites, le mal dans la conception d’un progrès humain qui ne saurait être linéaire. Il conviendra d’intégrer l’échec car l’échec lui-même est riche de leçons.
L’espoir peut être personnel, familial, social. Il peut avoir un contenu économique et politique.
Espérance et espoir n’invitent pas à la passivité mais postulent une inébranlable force intérieure, une constance contre la tiédeur et la faiblesse, l’éveil à autrui contre l’indifférence, l’altruisme contre l’égoïsme, la remise en cause contre l’atonie, la marche en avant contre la paresse immobile, un effort d’analyse à long terme, un grand dessein, un classement hiérarchique des options contre l’irréflexion, la myopie, la vision à court terme.
L’espoir peut être sociopolitique (paix sociale, progrès économique), espoir de libération de l’homme par la victoire sur les aliénations, ce qui ne saurait signifier le rejet de toute contrainte car il est des contraintes nécessaires, libératrices plus qu’aliénantes. Sans doute faudrait-il écrire l’éloge de l’ascèse qui n’est pas mortification mais contrainte voulue, consentie et acceptée au nom d’exigences intérieures.
S’il nous est donné de prendre nos distances par rapport aux réalisations terrestres, si nous refusons de confondre efficacité et fécondité, certaines évidences s’imposent qu’il faut bien appeler spirituelles : l’innocence poétique, la pauvreté, la charité, le désir, l’amour, la joie, la sainteté, la communion, la célébration. Et, dans l’ultime ascension, se rejoignent l’espérance et l’espoir, la contemplation et l’action. La contemplation est mère de l’action. Les grands actifs sont des contemplatifs parce que la vision qui les habite inspire un idéal, propose un enjeu, lance un défi et nourrit la volonté d’agir.
Au terme de cet itinéraire se proposent à nous les voies de la justice, les chemins de l’amour, les sentiers de la perfection.
Le 21 février 1978, lors de la cérémonie solennelle de remise du Prix de l’ INSTITUT DE LA VIE, j’ai lancé un appel public pour une Fondation de l’Espoir et la présente soirée est l’une des manifestations nées de cet appel qui a atteint les cinq continents.
« Il s’agit d’ouvrir l’avenir à la vie et aux hommes. Nous nous assignons une double mission :
- La première, philosophique et morale : affirmer la nécessité et l’obligation de l’espoir. L’espoir st un devoir pour l’humanité si elle veut survivre. Ainsi pourra être engagée une réflexion sur le sen immédiat et ultime de la vie et sur le problème des fins, problème majeur, unique problème. Ainsi pourra être érigée une tribune assez haute pour que l’exhortation à l’espoir atteigne les extrémités de la terre.
- La seconde mission est de combat : traquer au nom de la vie toutes les formes de désespoir, non pas seulement les appels de la nuit, mais le désespoir du jeune délinquant, du marginal, du déclassé, du drogué, du prisonnier, de l’immigré, de l’exilé, du sans travail, du minoritaire, de l’handicapé, du malade, du vieillard, du frénétique qui cède à la violence et au paroxysme dans nos sociétés dites avancées, enfin le désespoir du tiers et du quart monde des pauvres.
Traquer les formes de désespoir, mais aussi donner un contenu positif à l’espoir, depuis la satisfaction des besoins primaires jusqu’à l’accomplissement des plus hautes aspirations, dans l’harmonie de la paix.
Dans toutes ces missions, la science, témoin de la grandeur de l’esprit humain, apportera sa contribution objective et attestera ainsi, qu’elle entend assumer à sa place l’homme dans son humanité, je veux dire assumer non point seulement l’esprit qui interroge mais la personne de chaque être humain unique, irremplaçable et d’une valeur infinie.
Après le triomphe des maîtres du soupçon, après l’ivresse scientiste, puis le déracinement et le désespoir, voici l’homme dans son impatience de l’inaccompli et dans sa proche plénitude, non pas un galet emporté par le torrent ni une bulle à la surface du néant, mais l’homme acteur et sujet de l’histoire, poète, héros et saint, l’homme à la pureté intacte au plus secret d’une conscience, fût-elle dévastée.
La grandeur n’est pas la démesure. Il n’est pas de grandeur dans l’horrible. En quoi l’homme est-il grand : par la puissance de l’intelligence et la force de l’espérance – en un mot par l’esprit et le cœur – Atteindre à la grandeur par le service d’une grande cause. Pas de grande cause qui ne soit au service de l’homme et de la vie.
Chercher, connaître, agir, aimer.
Le royaume se vit et l’homme s’accomplit dans la quête, l’amour, l’action.
L’avènement de la vie que l’ INSTITUT DE LA VIE annonce doit devenir service effectif de l’humanité. L’espérance incarnée dans l’ INSTITUT DE LA VIE a besoin pour se réaliser d’une médiation, d’un projet humain. Tel est le défi de l’espoir que lance à son heure notre institution.
Six cent mille ans d’histoire humaine, six cent mille ans de souffrance et de peine, de bruit et de fureur sculptent le silence immobile où se déploie le mystère innommé de la vie, où se dessine pour chaque être qui vit le mystère du sens.
Il y a l’humaine condition et c’est la même misère et c’est la même grandeur, il y a l’angoisse et c’est le même naufrage, il y a l’échec et c’est la même tristesse, il y a le mal et c’est le même abîme, il y a la mort et c’est le même vertige, mais…il y a la vie et c’est le même éblouissement, il y a l’avenir et c’est la même chance et c’est le même péril, il y a l’intelligence et c’est la même lumière, il y a la liberté est c’est la même passion, il y a le combat et c’est le même dépassement, il y a l’espérance et c’est le même élan, il y a la tendresse et c’est le même chef d’œuvre, il y a l’amour et c’est le même accomplissement.
Des antimémoires à l’Institut de la Vie
Maurice Marois à André Malraux
La mort est un des thèmes dominant de ce grand livre. Mais la vie y est aussi présente : « Mort et vie, les deux mouvements fondamentaux de la pulsation du monde… La vie, énigme fondamentale… livret d’une musique inconnue. »
C’est dire combien l’Institut de la Vie tente d’insérer sa démarche dans votre vision du monde.
La poussée de l’Institut de la Vie se développe le long de deux lignes de force :
1°- Nous nous posons les questions que la vie « pose à la signification du monde : la vie, énigme fondamentale, livret d’une musique inconnue, la vie qui impose l’idée d’une volonté et d’une métamorphose sans fin ». « Toutes les formes captent leur part d’insaisissable. Pour toutes, à des degrés divers, le réel est apparence, avec la perfection de l’éphémère. Autre chose existe, qui n’est pas apparence. Son langage est celui de la vérité… langage de l’éternel et du sacré… Ce réalisme d’autre monde – le seul durable – est le nôtre. » Nous engageons la science dans une démarche de contemplation puisque, pour la première fois, d’une manière concertée, nous avons rapproché la physique théorique de la biologie. Au-delà de la diversité et de la profusion, formes de la nature, nous tentons de saisir les lois simples et belles qui les sous-tendent. Ces lois ressortissent à la mathématique et apparaîtront pour les croyants comme un reflet de la pensée de Dieu.
2°- L’évidence fondamentale de l’Inde est « l’infini de la vie dans l’infini du temps ». Le grand fait nouveau pour l’Occident est la mort – non pas de toute forme de vie –, mais le péril de mort sur l’actuelle forme achevée de la vie, la forme humaine. Le réalisme de l’Institut de la Vie est le réalisme de la fraternité : « fraternité, caresse désespérée qui ferme les yeux des morts » – mais aussi tendresse chargée d’espoir qui veille sur la vie qui veut vivre. Nous voulons « donner aux hommes leur chance » : non pas à la vie – car la vie nous survivra –, mais aux hommes.
L’enjeu : s’il est vrai que l’Occidental peut tenir pour valeur suprême la connaissance des lois de l’univers « alors que l’Hindou tient pour valeur suprême l’accession à l’absolu divin », peut-être par l’Institut de la Vie l’Occidental découvrira-t-il que la connaissance des lois de l’univers est un itinéraire pour l’accession à l’absolu divin. « L’Occident connaît sa plus violente métamorphose depuis la fin de l’Empire romain. Notre civilisation des machines est la première civilisation sans valeur suprême pour la majorité des hommes. Dans cette civilisation de l’action, chacun est possédé par l’action : l’action contre la contemplation, l’instant contre l’éternité… Les rêves de justice et les rêves de puissance finissent par livrer l’homme à la machine. Toute civilisation est hantée par ce qu’elle pense de la mort… L’intensité de la civilisation occidentale vient de la mort… Nous sommes dans le cycle du sang, du sexe, de la sentimentalité, de la politique et de la mort… En 50 ans, notre civilisation qui se veut et se croit – et qui est – la civilisation de la science deviendra l’une des civilisations les plus soumises aux instincts et aux rêves élémentaires que la vie ait connues.
La conscience plénière du sens de la vie porte le rêve d’accomplissement. Nous voulons une mise en question de l’action et de la mort par la vie. Nous faisons appel à ce qui est le plus viscéral en l’homme, l’instinct de conservation, mais aussi à ce qui est le plus élevé : le bon usage de la liberté, la responsabilité. Nous voulons aller du réel d’outre-monde au réel de notre monde, de la nuit au jour, de la mort à la vie, de l’instant à l’éternité, de l’action à la contemplation, pour retourner de l’éternité à l’instant et de la contemplation à l’action.
Mais nous devons dépasser « l’illusion lyrique ». Au bout de la traversée du désert, voici que notre délégation de l’invisible – de la réalité « d’outre-monde » – affronte la dure réalité politique et ses jeux mortels parce qu’ils sont l’affrontement des puissances. L’exigence de vie brisera-t-elle les affrontements ? Fera-t-elle confluer les puissances pour assurer sa pérennité ? Si « la politique implique la création puis l’action d’un Etat », notre politique implique la création puis l’action d’une institution. Nous avons la certitude que « la décision ne doit pas être différée car l’avenir dure longtemps ». Si « l’Inde est mariée avec la mort, la France et l’Occident ne pourraient-ils pas épouser la vie ? » Parce que nous nous faisons une « certaine idée de la France », nous croyons que l’Institut de la Vie n’est pas né en France par un accident de l’histoire, et nous souhaitons maintenir au sein de notre institution inéluctablement mondiale l’inspiration qui lui donnera « cette certaine idée que nous nous faisons de la France ».
Maurice Marois
1968
« Un petit troupeau est en marche, annonciateur de la grande moisson de Dieu »
Maurice Marois, 3 février 1965