une-éthique

La Science, la foi et le Schéma XIII

Compte rendu d’une réunion tenue le 3 février 1965

Participants : Mgr Veuillot, Mgr Gouet, Messieurs Lecomte, Grassé et Ponte, membres de l’Académie des Sciences, Monsieur le Doyen M. Zamanlsky,  monsieur le Pr. M. Marois.
Sommaire

Intervention de Maurice MAROIS : La Science, le Concile et l’Église

 

INTRODUCTION

L’Église peut aider la science à sortir de sa nuit spirituelle. Une telle œuvre est stratégiquement importante, car la science occupe dans l’esprit des hommes du XXème siècle une position dominante.

Le genre humain s’est donné à lui-même par la science les moyens de son expansion. La science est l’artisan des progrès matériels des peuples nantis ; elle a forgé une civilisation technologique de confort, d’abolition du risque et d’efficacité ; grâce aux progrès de la biologie et de la médecine, elle a rendu possible l’explosion démographique du Tiers-Monde dont l’actuel corollaire est la faim. Le rationalisme scientifique conquiert la matière et procure aux matérialistes  l’illusion, par ses victoires, de la validité de ses postulats.

Mais, par ses mauvais usages, la science offre aux hommes les moyens d’en finir avec l’espèce humaine, et les hommes sont habités par la terreur de l’atome.

Et voici qu’à l’ivresse scientiste du XIXème siècle et du début du XXème siècle, succède une remise en question de la finalité de la science. Le sentiment de responsabilité s’éveille timidement au cœur des hommes de science en même temps que l’inquiétude des dangers d’une liberté sans référence supérieure. Un jour, en l’homme de science héros et démiurge, le drame du monde sera vécu avec une conscience aigüe. Une évolution se dessine vers plus de lucidité et plus de modestie. Mais le mouvement  commence à peine, et la route sera longue : la conversion de la science n’est pas imminente. Pour aujourd’hui, la science montre une désaffection apparente pour les problèmes spirituels. Son attitude en face du Concile en témoigne.

LA SCIENCE ET LE CONCILE

L’événement du Concile ne suscite aucun écho perceptible dans le mondé scientifique. Ce lourd silence de la science est-il le signe d’un respect attentif, d’une pudeur dans l’expression des sentiments, d’une réserve ou d’une indifférence hostile ?

Il n’est pas permis de répondre en choisissant un seul de ces quatre termes schématiques. Car le monde scientifique est complexe et mouvant et sa vérité ne peut être enfermée dans les limites d’une formule simple. La dominante pourtant est l’indifférence.

Les attitudes des hommes de science ne se distinguent pas de celles des autres hommes.

Les savants catholiques optimistes vivent dans l’allégresse : le Concile est le printemps de l’Église, le Concile s’apprête à dominer son temps et à proclamer en termes renouvelés la doctrine éternelle.

Les savants catholiques pessimistes s’inquiètent. L’Église est inconsciente de sa situation réelle, car elle ne sait pas prendre la mesure de ses forces diminuées. Elle piétine en face de la montée en nombre des non-chrétiens. Elle est dramatiquement inapte à apporter une réponse temporelle aux problèmes temporels des hommes. Elle est lente à s’adapter alors que l’accélération de l’histoire rend plus aigüe la crise spirituelle du monde. Le Concile n’est qu’un simple ravalement de l’antique façade de l’Église. Son intérêt est limité aux uniques problèmes fermés d’adaptation liturgique : pour le reste, l’état d’esprit du Concile est celui de la concession défaitiste et complaisante aux modes du siècle.

Les hommes de science incroyants sont hostiles ou indifférents.

S’il arrive aux hostiles de s’exprimer, ils soutiennent des formules malveillantes ou superbement sereines. Malveillantes : ce qui intéresse l’Église, ce n’est pas la survie des hommes mais la survie de l’Église. Sereines : les religions sont les vestiges d’un passé révolu ; l’œcuménisme n’est qu’un ultime sursaut des spiritualités contraintes de s’unir devant les signes annonciateurs de leur inéluctable disparition.

Pour l’homme de science indifférent, le Concile ne suscite pas d’émerveillement. Le Concile ? Un congrès comme les autres. Les hommes de science sont accoutumés aux rassemblements d’hommes de tous les continents autour d’un grand thème. Ce sentiment de l’unité du genre humain, au-delà des différences de civilisations, de races, de conceptions philosophiques est communément éprouvé par les hommes de science en congrès.

Le Concile apparaît comme un congrès spécialisé ; il ne me concerne pas, dit l’homme de science : c’est essentiellement un événement religieux intérieur à l’Église Romaine, traitant de problèmes théologiques, scripturaires, liturgiques totalement étrangers à la Science.

Enfin, dans aucun des schémas du Concile, la Science n’est directement interpellée. S’il est vrai que la Science est peu attentive à l’Église, l’Église l’est-elle davantage à la Science ? Les relations entre l’Église et la Science ont-elles jamais été bonnes ? L’Église n’a-t-elle pas trop souvent manifesté prudence, réserve hostile à l’égard de la science suspecte de matérialisme, et qui, au nom du libre-examen, récuse les dogmes ? Certes, Pie XI a fondé l’Académie Pontificale des Sciences, mais cette création est trop récente pour que son autorité auprès de l’Église se soit manifestée aux yeux de tous.

Ici pourrait s’arrêter l’analyse de la situation de la Science face au Concile et à l’Église. Mais cette analyse mérite d’être complétée par une réfutation de la fausse querelle de la Science et de l’Église, sur le thème du progrès et par un examen de conscience de la Science. Au terme de cet examen, la Science apparaîtra comme une des chances de Dieu, si l’Église maternelle sait inspirer son progrès.


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LE PROGRES, LA SCIENCE ET L’EGLISE

Sur le thème du progrès, il est facile de cristalliser la science et l’Église dans une opposition apparemment irréductible. Il suffit de retenir certains aspects partiels de leurs conceptions.

Pour la Science, le progrès n’est pas un mythe mais une certitude joyeuse. La Science conçoit le monde comme une histoire dont elle est désormais le moteur. La Science est optimiste parce que conquérante et victorieuse, et elle peut longtemps encore dispenser l’ivresse primaire d’un scientisme sommaire.

L’Église intemporelle se situe hors de l’histoire et sa fin est eschatologique. Elle considère le progrès comme  un mythe. L’événement essentiel de l’histoire est déjà arrivé. Face à la tentation de l’homme prométhéen qui a foi en l’existence d’un salut temporel, l’Église rappelle l’existence menaçante du péché. Enfin, la Science se heurtera toujours à d’infranchissables limites. « Elle peut transformer certaines conditions de notre existence. Elle ne peut faire que notre existence ne reste ici-bas en un certain sens une captivité. »

Une telle opposition est partielle et factice. Elle méconnaît le double aspect temporel et intemporel de l’homme indivis, de l’Église indivise et de la Science indivise.

L’accélération de l’histoire de l’homme temporel ne concerne pas l’homme intemporel : « Si la Science et l’industrie bouleversent l’ordre immémorial des sociétés, ni les individus ni les collectivités n’ont pour autant changé de nature. Cette constance nous rappelle que la cause dernière de l’espoir et de la peur n’est peut-être pas la technique de l’industrie et de la guerre, mais le cœur de l’homme ». Il est faux de dire que l’Église s’occupe de l’homme intemporel et néglige l’homme temporel. La conception chrétienne de l’histoire, l’interprétation chrétienne du temps ne sont pas une négation sans appel du progrès. L’aspect matériel des conditions d’existence de l’homme n’est pas méconnu par l’Église face au marxisme représenté comme une aperception vengeresse de la causalité matérielle. L’Église ne se fige pas dans l’attitude d’un anti-modernisme moralisateur. L’Église n’est pas à ce point marquée par les circonstances historiques où elle est née et il est fallacieux d’opposer le monde de la sagesse au temps où le christianisme est apparu, et le monde de la science et de  la technique. Le christianisme n’est pas à ce point indépendant à l’égard de toutes les formes de civilisation qu’il les transcende sans les comprendre. Enfin, le visage temporel de la technique ne doit pas masquer le vrai visage intemporel de la science.


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SITUATION MORALE DE LA SCIENCE

1) Les maladies d’enfance

Trois tentations immédiates sollicitent les savants :

  • La tentation de la puissance matérielle

Le rôle social et politique de la science grandit. Parente pauvre hier car nouvelle venue, maîtresse du monde demain car elle est le support de la prospérité des sociétés : la science sécrète la puissance et les savants en deviennent les ordonnateurs.

  • La tentation du confort intellectuel

Elle se manifeste chez un grand nombre d’hommes de science par le refus des problèmes de responsabilité et de liberté puisque la science est la « connaissance et non pas la morale ni la métaphysique ».

  • La tentation spirituelle

La maîtrise de la matière grâce à l’usage victorieux du rationalisme scientifique enivre la science. Cette ivresse invite à la tentation d’une nouvelle religion matérialiste dont l’homme est l’unique référence : teilhardisme expurgé de Dieu, religion de l’espèce humaine une et indivisible fondée sur la science qui s’approprie la planète et une parcelle de l’univers.

Ces tentations sont les maladies infantiles de la Science.

2) Les problèmes de la maturité : de la liberté à l’amour, de la connaissance à l’adoration : la découverte de Dieu.

a) Science et liberté

La Science rencontre à chaque pas les problèmes de la liberté depuis l’origine de sa démarche : la création scientifique, jusqu’à l’aboutissement à l’usage de ses découvertes.

Liberté et création scientifique

Le temps où Lavoisier faisait ses découvertes dans sa cuisine est révolu. Seuls les États ou les grandes industries peuvent apporter les moyens matériels gigantesques indispensables désormais à la recherche. L’homme de science devient ainsi dépendant des structures qui détiennent la puissance et il arrive que la puissance asservisse la science.

La liberté est la condition essentielle de la création scientifique : liberté du choix des sujets et liberté de la divulgation des connaissances.

Sous les régimes totalitaires, certaines recherches, certaines hypothèses ou théories sont inopportunes : elles sont proscrites et les savants qui les soutiennent sont persécutés.

La Science au service de la puissance militaire ou industrielle doit sacrifier la recherche fondamentale à long terme, gratuite, à la recherche appliquée à court terme.

La législation des recherches, l’échange des informations scientifiques est la condition du progrès. Les connaissances scientifiques sont-elles le patrimoine commun de l’humanité ou la propriété des commanditaires des recherches dont elles affermissent la puissance ? Il est arrivé à la Science de livrer combat contre le secret industriel ou le secret militaire.

Liberté et responsabilité : le bon usage des découvertes scientifiques.

À l’articulation de la science et de la liberté, se situe le problème majeur de notre temps : celui du bon usage du pouvoir sans mesure que la science donne aux hommes. Ce problème dépasse infiniment le savant. Il concerne la conscience universelle ; mais, dans ce débat, le savant ne peut pas éluder sa responsabilité propre. Et son attitude varie en fonction de son degré de lucidité, de sa philosophie, de son tempérament. Cette attitude oscille entre l’indifférence dans le confort intellectuel et la remise en question de la finalité de la science. La remise en question s’exprime par le désespoir résigné, l’inquiétude militante, l’objection de conscience ou la désertion. Récemment, une nouvelle voie s’est ouverte : celle de la désacralisation, de la démystification de la science qui reconnaît que les problèmes de responsabilité, posés par l’usage des découvertes scientifiques, lui échappent. Les hommes engagés dans cette voie ont dépassé la contestation et ouvert le dialogue avec tous les artisans de la civilisation de notre temps, avec toutes les disciplines de pensée, avec les spiritualités, pour retrouver les valeurs permanentes et universelles que sert la science.

Les savants sont conscients de la situation nouvelle dans laquelle la science place l’homme : entre l’explosion de l’atome et l’explosion démographique. La science peut freiner l’avènement d’un monde surpeuplé : les substances anticonceptionnelles sont les armes absolues contre l’ovule. Elle peut supprimer le genre humain par l’arme atomique absolue. Dans les deux cas, le protoplasme humain, forme supérieure de vie, est en péril. Et c’est un grand fait nouveau que l’introduction par la science du mot « absolu » dans les affaires temporelles des hommes.

Mais voici que la science approche d’un autre point critique, celui où l’homme pourra transformer l’homme, où l’homme sera le démiurge de l’homme. Voici que s’ouvre sous ses pas le nouveau gouffre d’une liberté démiurgique.

Ainsi, au-delà de l’effort de la science tendu vers la découverte des lois d’univers, une réflexion de la science sur elle-même est entreprise où la science est conçue comme un instrument du destin de l’homme.

La nécessité éclate d’une subordination de la liberté à un ordre supérieur ; l’Amour apparaît comme l’unique voie de salut.

b) Connaissance et dépassement

L’âme du savant est partagée entre l’orgueil de la connaissance et l’humiliation devant l’infirmité de la nature humaine.

Celle-ci ne peut appréhender entièrement le connu. La multiplicité des recherches submerge le savant dans la marée montante des publications scientifiques dont la progression est géométrique.

L’approfondissement, la diversification des recherches entraîne l’incompréhension entre disciplines voisines, à cause de la différence des langages.

Plus gravement encore, la nature humaine est inapte à saisir à la fois l’espace et le temps (Einstein).

Enfin, à la limite de l’inconnu, se dresse l’inconnaissable.

En son violon Fait vibrer Les cordes de son coeur

Violoneux Jean MARC

Certes, la science s’occupe du milieu des choses. L’origine et la fin lui échappent (selon la formule célèbre de Claude Bernard) mais pour certains savants la science est le tremplin de la méditation métaphysique. La démarche religieuse de l’homme de science progresse de la quête avide et ardente de l’inconnu à la joie de découvrir l’ordre des lois de l’univers. L’admiration de la beauté de la Création s’amplifie en un chant de gloire au Créateur. La contemplation se sublime en adoration de Dieu. Ainsi, se noue dans l’âme du savant le dialogue entre l’homme temporel et l’homme intemporel. L’aspect intemporel apparaîtra un jour comme le plus essentiel. Par l’intemporel, la science rejoindra l’Église intemporelle.

 

CONCLUSION

 

Combien d’hommes de science ignorent la religion !  Dieu ne leur fait pas besoin. Cette situation est provisoire. Elle explique l’apparente indifférence au Concile d’un grand nombre de savants. Mais un petit troupeau est en marche, annonciateur de la grande moisson de Dieu. Ce petit troupeau proclame qu’à la bonne nouvelle du salut éternel  ne doit pas s’opposer la bonne nouvelle du salut temporel par la science, mais que le conflit doit se résoudre en une synthèse supérieure où la hiérarchie des ordres surnaturel et naturel sera respectée. Il conjure l’Église de ne pas considérer la science comme figée dans les schémas des erreurs scientistes passées et de ne pas méconnaître la crise spirituelle de la science.

Car la science est tout près d’avoir poussé jusqu’à ses conséquences extrêmes l’expérience de sa liberté jusqu’à la mise en question de l’existence de l’espèce. Elle est tout près de découvrir l’amour comme unique voie de salut non plus individuel mais collectif si l’espèce choisit de survivre. Elle est tout près de rencontrer l’inconnaissable au terme de son voyage à la marche extrême de l’inconnu.

Puisse l’Église ne pas attendre avec sa patience millénaire, que les savants prodigues découvrent enfin au bout de leur itinéraire heurté, les vérités éternelles qu’elle aura eu pour mérite de maintenir vivantes.

Puisse-t-elle maternellement inviter les hommes de science à reconnaître la grandeur nouvelle à laquelle ils sont appelés, en chantant la gloire de Dieu et en construisant son Royaume.


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Sur le schéma XIII

Texte de Maurice Marois
remis au cardinal Alfrink le 29 octobre 1964.

La révolution scientifique, irrésistible, irréversible, est un des signes de notre temps. La science est pour l’homme un instrument de libération et de progrès. Elle lui apporte la maîtrise de la terre et d’une parcelle de l’univers. Elle est la pointe fine de l’effort humain qui s’aventure à explorer le cosmos et à déterminer ses lois. Elle enrichit la conception que l’homme se fait de lui-même et du monde. Elle pose à l’homme le problème de sa place dans l’univers et du destin de son espèce.

La charte fondamentale de la science est l’objectivité, l’honnêteté intellectuelle, la soumission au réel et, pour la plupart des savants – le service de l’homme.

Mais voici que trois tentations immédiates sollicitent la science :

  • La tentation de la puissance temporelle : le rôle social et politique de la science grandit ; elle est le support de la prospérité des sociétés.
  • La tentation du confort intellectuel par le refus des problèmes de responsabilité et de liberté.
  • La tentation philosophique, la saine démarche de la pensée rationnelle arrêtant son élan pour justifier le matérialisme athée.

Ces tentations sont comme les maladies d’enfance de la science.

Déjà se posent les problèmes de la maturité. Ils mènent de la liberté à l’amour, de la connaissance à la contemplation.

Science et liberté

    • La liberté peut être victime des rapports entre science et puissance. Car la science sécrète la puissance et la puissance asservit la science. Or la liberté est la condition essentielle de la création scientifique : liberté du choix des sujets, liberté de la divulgation des connaissances. Toute contrainte extérieure limitant ces libertés aliène la vocation de la science à l’universel. La seule limitation ne peut être que morale, dans le choix des méthodes de recherche qui ne doivent pas attenter au respect de la personne.
    • A l’articulation de la science et de la liberté se situe le problème du bon usage de la puissance que la science donne aux hommes. La science place l’homme entre l’explosion de l’atome et l’explosion démographique. Elle donne à l’homme l’arme atomique absolue et l’arme absolue contre l’ovule. Mais voici que la science approche d’un autre point critique : celui où l’homme pourra transformer l’homme. Ainsi la science est-elle un instrument du destin collectif et personnel de l’homme.

Dans tous les cas, la vie, première universalité, se trouve concernée, vie dont la science a rendu la situation prospère et précaire.

La nécessité éclate d’une subordination de la liberté à un ordre supérieur : l’amour apparaît comme l’unique voie de salut.

Connaissance et dépassement

En inventoriant le monde, la science s’approche le plus de l’idée que Dieu s’est fait du monde en le créant. La science peut être un tremplin pour la méditation métaphysique : la démarche progresse de la quête avide et ardente de l’inconnu à la joie de découvrir les lois de l’univers ; l’admiration de la beauté de la création s’amplifie en un chant de gloire au Créateur. La contemplation se sublime en adoration de Dieu.

L’Église ne considère pas la science comme figée dans les erreurs scientistes passées. Elle ne méconnaît pas la crise spirituelle de la science.

Puissent les hommes de science reconnaître la grandeur nouvelle à laquelle ils sont appelés en chantant la gloire de Dieu et en construisant son Royaume.

Quelques QUESTIONS sur l ’ÉGLISE et la SCIENCE

Pourquoi le Concile doit-il traiter de la science ?

  • Parce que la science est l’un des premiers parmi les « signes des temps » ;
  • Parce que la science, tête chercheuse de l’humanité, refait en sens inverse le cheminement du Verbe créateur ;
  • Parce que l’Église a accueilli la science, l’a protégée et l’a sans doute sauvée.
  • Parce que l’Église et la science peuvent d’entente sauver l’homme, corps et âme, en lui permettant d’épanouir sa vocation au bonheur.

Comment le Concile doit-il traiter de la science ?

  • Sans crainte : la science est la quête de tout le réel œuvre de Dieu, par les moyens de connaissance que Dieu a donnés à l’homme. Comment craindre une opposition entre la foi et la science ?
  • Sans prétention : l’Église ne peut remplacer la science. Elle la favorise, accueille avec admiration ses découvertes sans cesse renouvelées, la guide même jusqu’à dresser devant ses méthodes et ses applications les barrières qui protègent la liberté de l’homme.
  • Sans illusion : la volonté de l’homme, qu’il commande ou obéisse, détermine la puissance politique ; l’intelligence de l’homme, qu’il dévoile ou utilise les secrets de l’univers, détermine la puissance scientifique. C’est un signe des temps que cette puissance scientifique soit désormais plus importante que la puissance politique.

 


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27 février 1974 : l’Audience du Pape

L’Osservatore Romano n°10 – 8 mars 1974 : « Responsabilité de la science pour la défense de la vie humaine»

marois et Paul6Paul VI a reçu en audience spéciale un groupe de vint-trois scientifiques biologistes, physiciens, chimistes dont sept Prix Nobel : les professeurs Cournand de New York (médecine) ; Eigen de Göttingen et Mulliken de Chicago (chimie) ; Onsager de New Haven, Rabi et Cooper de New York (physique) et Theorell de Stockholm (chimie). S’exprimant en français, le Pape leur a dit :

« Nous sommes à la fois heureux et honoré de recevoir votre groupe ce matin. La haute compétence scientifique que vous possédez et qui vous a acquis un renom international, suscite notre estime et nos félicitations. Pour L’Église, déchiffre, avec la plus grande précision possible, les lois complexes qui règlent l’univers physique et biologique constitue déjà une quête de la vérité qui rend hommage à la fois à l’Auteur de la nature et à l’esprit humain qui participe à sa Sagesse.

Cooper et Paul 6 S’il s’agit de mieux pénétrer le mystère de la vie humaine, de la protéger et de la promouvoir, l’œuvre déborde le domaine étroitement  délimité des spécialisations proprement scientifiques. Beaucoup de concours y sont nécessaires : à côté de celui du savant et du médecin, il y faut celui du philosophe, du politique, du juriste comme aussi, pensons-nous, celui du moraliste et du théologien. En ce domaine, en effet, L’Église catholique professe une conception de l’homme totalement englobante, qui fonde  ses prises de position relatives aux problèmes actuels.  Elle se réjouit de la maîtrise que l’homme acquiert sur sa propre vie, non pour la transformer à son gré, mais pour l’épanouir selon toutes les possibilités inscrites dans sa nature. Elle est soucieuse de la qualité de la vie, à tous ses niveaux, car ils sont tous ordonnés à la vocation spirituelle de l’homme. Elle reconnaît à chaque personne un caractère sacré, garanti par Celui qui a créé l’homme à son image et l’enveloppe de son amour et l’appelle à vivre avec Lui. Elle reconnaît donc son droit inaliénable à vivre dès le premier commencement de son existence – un droit dont nul humain ne peut jamais disposer –  et un droit aussi à trouver chez ses semblables et d’abord dans sa famille, les conditions d’une vie vraiment humaine.

Ainsi, face au problème de la vie, L’Église se situe dans la lumière d’une foi qui lui révèle le sens plénier de l’homme et dans le sillage d’une longue expérience d’accueil à la vie. Mais, sur ce point, elle sait qu’elle rejoint beaucoup d’hommes de bonne volonté, justement soucieux des conditions de vie réservées aux futures générations. C’est vous dire l’estime et l’intérêt que nous portons à vos travaux, en souhaitant  de contribuer, pour votre part, à ce haut service de l’humanité. »

Compte rendu de cette entrevue dans le journal « Le Parisien »
en date du 28 février 1974 :

L’ÉGLISE CONDAMNE L’AVORTEMENT
rappelle Paul VI à 7 « Prix Nobel »

« Le pape Paul VI a reçu hier 7 savants titulaires du Prix Nobel avec une délégation présidée par le professeur Marois, de la Faculté de médecine de Paris. Dans une allocution amicale, le pape a rappelé l’opposition irréductible de l’Eglise à l’avortement[…] Le souverain pontife a rappelé, d’autre part, que le moraliste et le théologien avaient leur place à côté des savants, des médecins, des philosophes, des politiques et des juristes dans la recherche d’une meilleure connaissance et de l’amélioration de la vie humaine. »

Quant aux savants de l’Institut de la Vie, voici leurs réactions et celles de leurs amis après cette visite au Pape :

– Il ne paraît pas heureux.
– Il n’est pas facile d’être Pape.
– Il se trouve toujours un homme pour vouloir l’être.
Stanley Bennett : Ce qui m’a frappé, c’est sa gentillesse, sa bonne volonté, son désir d’unité des hommes pour le bien.
– et le fait que son accueil ait été aussi ouvert pour les non catholiques.
– Il est bien vieux !
– Mais il est d’une grande dignité et très intelligent.
– Est-ce que je me sens meilleur après l’avoir rencontré : je pense que oui. J’espère que lui aussi se sent meilleur après ma rencontre.
– Il a retenu longuement ma main. J’aurais voulu lui parler davantage. Il m’a dit : « L’univers est un mystère et il est beau d’aller à sa découverte. » Que pouvais-je lui répondre ? Oui ! puisque la science doit servir au bien des hommes : oui ! évidemment !
– Le drame de L’Église contemporaine est le même qu’au temps de Galilée. Urbain VIII considérait comme blasphématoire que l’homme ne fût point le centre de l’univers. Aujourd’hui, si la contraception et l’avortement ne sont pas acceptés par l’Eglise, l’histoire lui infligera la même défaite.
– Mais L’Église est prise au piège de son système. Si le mariage est un sacrement, l’enfant qui en est issu est sacré. Toute entorse met à bas le sacrement du mariage et tout le système s’effondre.
– L’Histoire jugera dans deux siècles.
– Si le pape me demande qui est Dieu pour moi, je répondrai : il est bon. Le problème de selfconsciousness et du temps objectif est central ; il plus important que celui de la recognition.
– La guerre entre science et religion est une guerre civile. L’une et l’autre cherchent à donner un sens et une place à l’homme. Mais à l’angoisse humaine, la religion répond avec assurance, la science dit : cherche ! Je suis parti de la religion : la création du monde décrite par la Bible est somptueuse et m’a ébloui ; puis je suis devenu philosophe, j’ai mesuré les branches de la philosophie. Je suis entré dans la science, je n’en suis pas revenu.
– Qui est Dieu ? S’il est à mon image, il est remarquable.
– Je vais vous faire une confidence : je ne suis pas un bon chrétien.
–  Rassurez-vous, le pape non plus !
–  Je préfère le risque de l’intelligence libre à la sécurité automatique de l’instinct. Le saut dans l’intelligence peut faire sombrer la vie mais ce risque vaut la peine. Le dogme est comme l’instinct, il impose la contrainte et tue la liberté. Le dogme est aussi primitif que l’instinct. Je suis plus libre que le Pape.
–  Pour Monod, le hasard est à l’origine de la vie et de son évolution. Pour Prigogine, c’est l’erreur : quelques infimes erreurs introduites dans l’autoreproduction de l’uridine…
–  Ainsi Dieu, c’est l’erreur !
–  Il y a des acides nucléiques redondants dans lesquels sont stockées les erreurs qui à partir d’une taille critique vont constituer un progrès. Tel est le sens de la redondance.
–  Dieu, c’est la redondance ?
–  Dommage qu’on n’ait pas invité Galilée !
–  Dans la bataille entre Galilée (la science) et L’Église, la science a gagné. Nous allons rendre visite à un vaincu.
–  Le Pape est la pièce suprême du musée. Il est mort mais il ne le sait pas.
–  Si l’âme est le l’ADN (Acide Désoxyribonucléique), qui a écrit le code génétique ?
– Ce que dit le Pape, la plupart des hommes en ont besoin. C’est ce qui m’ennuie.
– Que deviendra l’Église quand la mort sera vaincue ?
– Elle s’occupera de la vie.
– Alors l’Institut de la Vie est L’Église de demain !

Vers 1977, l’Institut de la Vie est prêt pour prendre une dimension mondiale. Dans sa constitution, cet organisme indépendant a la possibilité d’entrer en relation avec les nations en signant une convention avec elle, qui fixe les conditions de coopération. C’est dans cette optique diplomatique que le Professeur Maurice Marois approche le Pape. Voici la lettre qu’il lui adressait le 22 mars 1977 :

Lettre du Pr. M. Marois à Paul VI

« Daignez permettre à un homme de science, fondateur de l’Institut de la Vie, d’apporter un filial hommage d’admiration au témoignage d’estime sublime que Votre Sainteté rend à la vie humaine.

C’est aussi un témoignage d’estime que l’Institut de la Vie rend à la vie quand il se donne une double mission théorique et pratique : la découverte de la majesté des lois de la nature et la défense de la cause sacrée de la vie. L’Institut de la Vie réunit l’expression suprême du génie scientifique (plus de trente Prix Nobel). Il est conscient de la beauté de la vie, de la grandeur de l’homme et  de la puissance de la science. Il fait servir la science à des œuvres de vie. En lui s’expriment  l’inquiétude de la science en quête d’absolu et l’inquiétude des hommes soucieux de leurs devoirs envers la vie. […]

Et voici que le message de votre Sainteté pour la journée de la paix du 1er janvier 1977, adressé aux chefs d’Etat survient à l’exact moment où l’Institut de la Vie écrit aux chefs d’Etat pour solliciter la signature d’une convention diplomatique et pour leur proposer de proclamer la vie, idée politiquement neuve, comme enjeu commun à l’ensemble du groupe humain. L’Institut de la Vie tente ainsi de répondre à l’invitation de Votre Sainteté :

« Penser de manière nouvelle les chemins de l’histoire et les destins du monde ».

La voie de l’Institut de la Vie est illuminée par la vision  prophétique de Votre Sainteté. L’institution affermit sa marche grâce aux forces de vie. Dans la phase diplomatique où elle s’est engagée, puisse le soutien de l’Eglise ne pas lui manquer. Avec émotion et gratitude je me remémore la phrase que Votre Sainteté a daigné prononcer lors de l’audience du 21 mars 1971 : « Vous avez choisi de défendre la cause sacrée de la vie et votre institution réussira parce que sa nécessité s’impose. Je la soutiendrai. »

 


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Centre mondial de l’Institut de la Vie sur la Destinée Humaine

« Cathédrale de l’Esprit, ce Centre pourrait nourrir nos réflexions dans notre quête de sens. Il pourrait aussi contribuer à éclairer les décisions stratégiques de l’humanité et donner une voix à la volonté de vivre et à l’espérance.

« Cathédrale longtemps invisible et silencieuse mais bientôt promise à la lumière. »
Maurice Marois.

Un projet ambitieux, nécessaire, possible

  • Ambitieux : mais la suprême audace est le suprême réalisme.
  • Nécessaire : la vie offre l’exemple de l’intégration à des niveaux d’organisation différents. Il n’existe pas d’organe d’intégration pour l’espèce humaine toute entière. Tôt ou tard, cet organisme naîtra. Allons plus vite que l’histoire pour mieux le façonner.
  • Possible : l’Institut de la Vie en est l’instrument naturel que désignent son histoire, sa philosophie, son œuvre. Édifié en plus d’un tiers de siècle, il peut soutenir les plus grands desseins.

Il a choisi la vie, thème unificateur, dynamisant, ouvert sur l’avenir ; la vie, enjeu politiquement neuf.

Un mécanisme pour le centre

Nous proposons de retenir pour règles statutaires l’indépendance, la flexibilité, le vaste champ de vision, le choix des meilleurs.

Les problèmes seraient traités non pas dans des cours magistraux, mais par des congrès internationaux, des symposiums. Sur les sujets controversés, des confrontations seraient organisées entre les points de vue opposés dans un climat de liberté sereine. Tout serait objectivement et universellement diffusé par les moyens modernes de communication. L’institution s’interdira d’être normative, même si par la publicité des débats elle permet une prise de conscience. Elle tentera modestement d’être un laboratoire d’une sagesse qui se cherche.

Comment assurer la permanence dans le mouvement ?

La permanence : un comité de sages se recruterait lui-même par cooptation selon les critères de la compétence, de la rigueur, de la lucidité, de la générosité, du sens des valeurs fondamentales ; il veillerait à la rectitude de la démarche du Centre.

Le mouvement : ce comité choisirait les thèmes, certains éternels car ils correspondent à des constantes de l’humanité ; d’autres actuels concerneraient les défis nouveaux de l’histoire.

En s’intégrant dans l’Institut de la Vie, dont il serait la suprême justification, il bénéficierait de sa réputation, de son réseau universel d’hommes et femmes de pensée, de sa crédibilité dans la communauté scientifique, de la confiance diplomatique mondiale acquise au cours de plusieurs décennies et de son rayonnement spirituel.


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Conclusion

En réalisant ce grand dessein, nous sommes fidèles à ce que voudrait être l’Institut de la Vie. Il n’est pas seulement une organisation de recherche et d’action qui se veut réaliste, vouée à des œuvres concrètes, utiles et efficaces. Il est un chant, le chant de l’homme qui lance aux étoiles l’interrogation sur la vie et sur sa propre vie, qui projette son espérance vers un avenir plus riche de justice, de fraternité, d’amour. Il est l’affirmation  de l’être humain dans la grandeur de son intelligence, de sa liberté, de l’autonomie de sa volonté. Il est le chant du monde, dans la majesté de ses lois au-delà de l’antique chaos, dans son harmonie au-delà des dissonances, dans sa durée en dépit des traverses de l’histoire.

Depuis près de quarante ans, l’Institut de la Vie en observe le cours. Anxieux, l’âme meurtrie par la souffrance du monde, mais aussi gonflée d’espérance quand l’aventure chaotique s’ouvre sur des promesses heureuses, quand le tumulte laisse place à l’harmonie, quand au-delà des ténèbres palpite une aube incertaine, quand dans son combat la vie souveraine s’affirme dans sa puissance et sa splendeur.

Nous aussi, nous sommes les « enfants du siècle », mais de quel siècle ! Un siècle dominé par le pouvoir que les hommes, encore dans leur préhistoire, se donnent à eux-mêmes par la science et qui doivent par nécessité éduquer leur liberté, maîtriser leurs passions, se ressourcer aux sagesses éternelles, et s’en inspirer pour forger une sagesse renouvelée. Devant des situations qu’ils n’ont jamais connues, ils doivent se confronter à d’immenses défis non pas les mains nues comme des voyageurs sans bagages, mais enrichis de toutes les richesses du monde, armés de toutes ses sagesses, nourris de toutes ses expériences, chargés de toutes ses attentes, comme des adultes enfin, déterminés à accomplir l’humanité de l’homme.

Dans le tumulte de notre fin de siècle, chacun perçoit l’attente d’une nouvelle renaissance, de l’avènement d’un temps où seraient reconnues la valeur de la vie et la grandeur de l’homme, l’homme dans l’exercice plénier de sa liberté responsable, l’homme étincelle d’esprit, créature d’amour.

«Le vent se lève, il faut tenter de vivre.» Paul Valéry.

 

Les raisons de sa création et les buts du Centre

  • Le pouvoir technologique croissant a un effet global : il transforme notre vie et aussi notre monde désormais plus petit et interdépendant. Nous en sommes conscients.
  • Nous sommes inquiets des perspectives et des périls pour notre propre descendance et pour les environnements naturels et sociaux.
  • Nous reconnaissons le caractère central et la complexité des problèmes moraux et spirituels posés à la destinée humaine par les progrès scientifiques et techniques.
  • Nous acceptons comme un fait la responsabilité de l’homme envers son propre avenir et le destin de la vie sur la Terre.
  • Il est nécessaire de s’interroger sur les perspectives offertes à l’humanité. Nous voulons répondre à cette nécessité.

Nous devons aboutir à un consensus en dépit des attitudes et des croyances souvent conflictuelles qui divisent l’humanité.

Notre but est :

  • De clarifier ce qui est en cause,
  • De formuler les vraies questions,
  • De donner corps aux réponses alternatives possibles,
  • De montrer pourquoi telle réponse serait meilleure que telles autres.

Notre mission est d’abord de faire œuvre de pensée ; nous éviterons des prises de position politiques partisanes, idéologiques.


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