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Institut de la Vie

 

 

lettre de Mgr. Géraud :

"Je comprends vos inquiétudes et vos problèmes au sujet des responsabilités partagées que vous évoquiez. La responsabilité repose sur celui qui prend l'initiative et sur celui qui consciemment, participe à cette initiative..."

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Une foi

SOMMAIRE

  1. La Science, la foi et le Schéma XIII
  1. L'audience du pape (1974)

« Un petit troupeau est en marche, annonciateur de la grande moisson de Dieu »
Maurice Marois, 3 février 1965

La Science, la foi et le Schéma XIII

Compte rendu d’une réunion tenue le 3 février 1965

Participants : Mgr Veuillot, Mgr Gouet, Messieurs Lecomte, Grassé et Ponte, membres de l’Académie des Sciences, Monsieur le Doyen M. Zamanlsky,  monsieur le Pr. M. Marois.
Sommaire

Intervention de Maurice MAROIS : La Science, le Concile et l’Église
INTRODUCTION
La Science et le Concile
Le progrès, la Science et l'Eglise
Situation morale de la Science
1)      Les maladies d’enfance
2)     Les problèmes de la maturité : de la liberté à l’amour, de la connaissance à l’adoration : la découverte de Dieu.
CONCLUSION

 

INTRODUCTION

L’Église peut aider la science à sortir de sa nuit spirituelle. Une telle œuvre est stratégiquement importante, car la science occupe dans l’esprit des hommes du XXème siècle une position dominante.

Le genre humain s’est donné à lui-même par la science les moyens de son expansion. La science est l’artisan des progrès matériels des peuples nantis ; elle a forgé une civilisation technologique de confort, d’abolition du risque et d’efficacité ; grâce aux progrès de la biologie et de la médecine, elle a rendu possible l’explosion démographique du Tiers-Monde dont l’actuel corollaire est la faim. Le rationalisme scientifique conquiert la matière et procure aux matérialistes  l’illusion, par ses victoires, de la validité de ses postulats.

Mais, par ses mauvais usages, la science offre aux hommes les moyens d’en finir avec l’espèce humaine, et les hommes sont habités par la terreur de l’atome.

Et voici qu’à l’ivresse scientiste du XIXème siècle et du début du XXème siècle, succède une remise en question de la finalité de la science. Le sentiment de responsabilité s’éveille timidement au cœur des hommes de science en même temps que l’inquiétude des dangers d’une liberté sans référence supérieure. Un jour, en l’homme de science héros et démiurge, le drame du monde sera vécu avec une conscience aigüe. Une évolution se dessine vers plus de lucidité et plus de modestie. Mais le mouvement  commence à peine, et la route sera longue : la conversion de la science n’est pas imminente. Pour aujourd’hui, la science montre une désaffection apparente pour les problèmes spirituels. Son attitude en face du Concile en témoigne.

LA SCIENCE ET LE CONCILE

L’événement du Concile ne suscite aucun écho perceptible dans le mondé scientifique. Ce lourd silence de la science est-il le signe d’un respect attentif, d’une pudeur dans l’expression des sentiments, d’une réserve ou d’une indifférence hostile ?

Il n’est pas permis de répondre en choisissant un seul de ces quatre termes schématiques. Car le monde scientifique est complexe et mouvant et sa vérité ne peut être enfermée dans les limites d’une formule simple. La dominante pourtant est l’indifférence.

Les attitudes des hommes de science ne se distinguent pas de celles des autres hommes.

Les savants catholiques optimistes vivent dans l’allégresse : le Concile est le printemps de l’Église, le Concile s’apprête à dominer son temps et à proclamer en termes renouvelés la doctrine éternelle.

Les savants catholiques pessimistes s’inquiètent. L’Église est inconsciente de sa situation réelle, car elle ne sait pas prendre la mesure de ses forces diminuées. Elle piétine en face de la montée en nombre des non-chrétiens. Elle est dramatiquement inapte à apporter une réponse temporelle aux problèmes temporels des hommes. Elle est lente à s’adapter alors que l’accélération de l’histoire rend plus aigüe la crise spirituelle du monde. Le Concile n’est qu’un simple ravalement de l’antique façade de l’Église. Son intérêt est limité aux uniques problèmes fermés d’adaptation liturgique : pour le reste, l’état d’esprit du Concile est celui de la concession défaitiste et complaisante aux modes du siècle.

Les hommes de science incroyants sont hostiles ou indifférents.

S’il arrive aux hostiles de s’exprimer, ils soutiennent des formules malveillantes ou superbement sereines. Malveillantes : ce qui intéresse l’Église, ce n’est pas la survie des hommes mais la survie de l’Église. Sereines : les religions sont les vestiges d’un passé révolu ; l’œcuménisme n’est qu’un ultime sursaut des spiritualités contraintes de s’unir devant les signes annonciateurs de leur inéluctable disparition.

Pour l’homme de science indifférent, le Concile ne suscite pas d’émerveillement. Le Concile ? Un congrès comme les autres. Les hommes de science sont accoutumés aux rassemblements d’hommes de tous les continents autour d’un grand thème. Ce sentiment de l’unité du genre humain, au-delà des différences de civilisations, de races, de conceptions philosophiques est communément éprouvé par les hommes de science en congrès.

Le Concile apparaît comme un congrès spécialisé ; il ne me concerne pas, dit l’homme de science : c’est essentiellement un événement religieux intérieur à l’Église Romaine, traitant de problèmes théologiques, scripturaires, liturgiques totalement étrangers à la Science.

Enfin, dans aucun des schémas du Concile, la Science n’est directement interpellée. S’il est vrai que la Science est peu attentive à l’Église, l’Église l’est-elle davantage à la Science ? Les relations entre l’Église et la Science ont-elles jamais été bonnes ? L’Église n’a-t-elle pas trop souvent manifesté prudence, réserve hostile à l’égard de la science suspecte de matérialisme, et qui, au nom du libre-examen, récuse les dogmes ? Certes, Pie XI a fondé l’Académie Pontificale des Sciences, mais cette création est trop récente pour que son autorité auprès de l’Église se soit manifestée aux yeux de tous.  

Ici pourrait s’arrêter l’analyse de la situation de la Science face au Concile et à l’Église. Mais cette analyse mérite d’être complétée par une réfutation de la fausse querelle de la Science et de l’Église, sur le thème du progrès et par un examen de conscience de la Science. Au terme de cet examen, la Science apparaîtra comme une des chances de Dieu, si l’Église maternelle sait inspirer son progrès.

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LE PROGRES, LA SCIENCE ET L’EGLISE

Sur le thème du progrès, il est facile de cristalliser la science et l’Église dans une opposition apparemment irréductible. Il suffit de retenir certains aspects partiels de leurs conceptions.

Pour la Science, le progrès n’est pas un mythe mais une certitude joyeuse. La Science conçoit le monde comme une histoire dont elle est désormais le moteur. La Science est optimiste parce que conquérante et victorieuse, et elle peut longtemps encore dispenser l’ivresse primaire d’un scientisme sommaire.

L’Église intemporelle se situe hors de l’histoire et sa fin est eschatologique. Elle considère le progrès comme  un mythe. L’événement essentiel de l’histoire est déjà arrivé. Face à la tentation de l’homme prométhéen qui a foi en l’existence d’un salut temporel, l’Église rappelle l’existence menaçante du péché. Enfin, la Science se heurtera toujours à d’infranchissables limites. « Elle peut transformer certaines conditions de notre existence. Elle ne peut faire que notre existence ne reste ici-bas en un certain sens une captivité. »

Une telle opposition est partielle et factice. Elle méconnaît le double aspect temporel et intemporel de l’homme indivis, de l’Église indivise et de la Science indivise.

L’accélération de l’histoire de l’homme temporel ne concerne pas l’homme intemporel : « Si la Science et l’industrie bouleversent l’ordre immémorial des sociétés, ni les individus ni les collectivités n’ont pour autant changé de nature. Cette constance nous rappelle que la cause dernière de l’espoir et de la peur n’est peut-être pas la technique de l’industrie et de la guerre, mais le cœur de l’homme ». Il est faux de dire que l’Église s’occupe de l’homme intemporel et néglige l’homme temporel. La conception chrétienne de l’histoire, l’interprétation chrétienne du temps ne sont pas une négation sans appel du progrès. L’aspect matériel des conditions d’existence de l’homme n’est pas méconnu par l’Église face au marxisme représenté comme une aperception vengeresse de la causalité matérielle. L’Église ne se fige pas dans l’attitude d’un anti-modernisme moralisateur. L’Église n’est pas à ce point marquée par les circonstances historiques où elle est née et il est fallacieux d’opposer le monde de la sagesse au temps où le christianisme est apparu, et le monde de la science et de  la technique. Le christianisme n’est pas à ce point indépendant à l’égard de toutes les formes de civilisation qu’il les transcende sans les comprendre. Enfin, le visage temporel de la technique ne doit pas masquer le vrai visage intemporel de la science.

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SITUATION MORALE DE LA SCIENCE

1) Les maladies d’enfance

Trois tentations immédiates sollicitent les savants :

Le rôle social et politique de la science grandit. Parente pauvre hier car nouvelle venue, maîtresse du monde demain car elle est le support de la prospérité des sociétés : la science sécrète la puissance et les savants en deviennent les ordonnateurs.

Elle se manifeste chez un grand nombre d’hommes de science par le refus des problèmes de responsabilité et de liberté puisque la science est la « connaissance et non pas la morale ni la métaphysique ».

La maîtrise de la matière grâce à l’usage victorieux du rationalisme scientifique enivre la science. Cette ivresse invite à la tentation d’une nouvelle religion matérialiste dont l’homme est l’unique référence : teilhardisme expurgé de Dieu, religion de l’espèce humaine une et indivisible fondée sur la science qui s’approprie la planète et une parcelle de l’univers.

Ces tentations sont les maladies infantiles de la Science.

2) Les problèmes de la maturité : de la liberté à l’amour, de la connaissance à l’adoration : la découverte de Dieu.

a) Science et liberté

La Science rencontre à chaque pas les problèmes de la liberté depuis l’origine de sa démarche : la création scientifique, jusqu’à l’aboutissement à l’usage de ses découvertes.

Liberté et création scientifique

Le temps où Lavoisier faisait ses découvertes dans sa cuisine est révolu. Seuls les États ou les grandes industries peuvent apporter les moyens matériels gigantesques indispensables désormais à la recherche. L’homme de science devient ainsi dépendant des structures qui détiennent la puissance et il arrive que la puissance asservisse la science.

La liberté est la condition essentielle de la création scientifique : liberté du choix des sujets et liberté de la divulgation des connaissances.

Sous les régimes totalitaires, certaines recherches, certaines hypothèses ou théories sont inopportunes : elles sont proscrites et les savants qui les soutiennent sont persécutés.

La Science au service de la puissance militaire ou industrielle doit sacrifier la recherche fondamentale à long terme, gratuite, à la recherche appliquée à court terme.

La législation des recherches, l’échange des informations scientifiques est la condition du progrès. Les connaissances scientifiques sont-elles le patrimoine commun de l’humanité ou la propriété des commanditaires des recherches dont elles affermissent la puissance ? Il est arrivé à la Science de livrer combat contre le secret industriel ou le secret militaire.

Liberté et responsabilité : le bon usage des découvertes scientifiques.

À l’articulation de la science et de la liberté, se situe le problème majeur de notre temps : celui du bon usage du pouvoir sans mesure que la science donne aux hommes. Ce problème dépasse infiniment le savant. Il concerne la conscience universelle ; mais, dans ce débat, le savant ne peut pas éluder sa responsabilité propre. Et son attitude varie en fonction de son degré de lucidité, de sa philosophie, de son tempérament. Cette attitude oscille entre l’indifférence dans le confort intellectuel et la remise en question de la finalité de la science. La remise en question s’exprime par le désespoir résigné, l’inquiétude militante, l’objection de conscience ou la désertion. Récemment, une nouvelle voie s’est ouverte : celle de la désacralisation, de la démystification de la science qui reconnaît que les problèmes de responsabilité, posés par l’usage des découvertes scientifiques, lui échappent. Les hommes engagés dans cette voie ont dépassé la contestation et ouvert le dialogue avec tous les artisans de la civilisation de notre temps, avec toutes les disciplines de pensée, avec les spiritualités, pour retrouver les valeurs permanentes et universelles que sert la science.

Les savants sont conscients de la situation nouvelle dans laquelle la science place l’homme : entre l’explosion de l’atome et l’explosion démographique. La science peut freiner l’avènement d’un monde surpeuplé : les substances anticonceptionnelles sont les armes absolues contre l’ovule. Elle peut supprimer le genre humain par l’arme atomique absolue. Dans les deux cas, le protoplasme humain, forme supérieure de vie, est en péril. Et c’est un grand fait nouveau que l’introduction par la science du mot « absolu » dans les affaires temporelles des hommes.

Mais voici que la science approche d’un autre point critique, celui où l’homme pourra transformer l’homme, où l’homme sera le démiurge de l’homme. Voici que s’ouvre sous ses pas le nouveau gouffre d’une liberté démiurgique.

Ainsi, au-delà de l’effort de la science tendu vers la découverte des lois d’univers, une réflexion de la science sur elle-même est entreprise où la science est conçue comme un instrument du destin de l’homme.

La nécessité éclate d’une subordination de la liberté à un ordre supérieur ; l’Amour apparaît comme l’unique voie de salut.

b) Connaissance et dépassement

L’âme du savant est partagée entre l’orgueil de la connaissance et l’humiliation devant l’infirmité de la nature humaine.

Celle-ci ne peut appréhender entièrement le connu. La multiplicité des recherches submerge le savant dans la marée montante des publications scientifiques dont la progression est géométrique.

L’approfondissement, la diversification des recherches entraîne l’incompréhension entre disciplines voisines, à cause de la différence des langages.

Plus gravement encore, la nature humaine est inapte à saisir à la fois l’espace et le temps (Einstein).

Enfin, à la limite de l’inconnu, se dresse l’inconnaissable.

le violoneux, Jean MARC

Certes, la science s’occupe du milieu des choses. L’origine et la fin lui échappent (selon la formule célèbre de Claude Bernard) mais pour certains savants la science est le tremplin de la méditation métaphysique. La démarche religieuse de l’homme de science progresse de la quête avide et ardente de l’inconnu à la joie de découvrir l’ordre des lois de l’univers. L’admiration de la beauté de la Création s’amplifie en un chant de gloire au Créateur. La contemplation se sublime en adoration de Dieu. Ainsi, se noue dans l’âme du savant le dialogue entre l’homme temporel et l’homme intemporel. L’aspect intemporel apparaîtra un jour comme le plus essentiel. Par l’intemporel, la science rejoindra l’Église intemporelle.

 

CONCLUSION

Combien d’hommes de science ignorent la religion !  Dieu ne leur fait pas besoin. Cette situation est provisoire. Elle explique l’apparente indifférence au Concile d’un grand nombre de savants. Mais un petit troupeau est en marche, annonciateur de la grande moisson de Dieu. Ce petit troupeau proclame qu’à la bonne nouvelle du salut éternel  ne doit pas s’opposer la bonne nouvelle du salut temporel par la science, mais que le conflit doit se résoudre en une synthèse supérieure où la hiérarchie des ordres surnaturel et naturel sera respectée. Il conjure l’Église de ne pas considérer la science comme figée dans les schémas des erreurs scientistes passées et de ne pas méconnaître la crise spirituelle de la science.

Car la science est tout près d’avoir poussé jusqu’à ses conséquences extrêmes l’expérience de sa liberté jusqu’à la mise en question de l’existence de l’espèce. Elle est tout près de découvrir l’amour comme unique voie de salut non plus individuel mais collectif si l’espèce choisit de survivre. Elle est tout près de rencontrer l’inconnaissable au terme de son voyage à la marche extrême de l’inconnu.

Puisse l’Église ne pas attendre avec sa patience millénaire, que les savants prodigues découvrent enfin au bout de leur itinéraire heurté, les vérités éternelles qu’elle aura eu pour mérite de maintenir vivantes.

Puisse-t-elle maternellement inviter les hommes de science à reconnaître la grandeur nouvelle à laquelle ils sont appelés, en chantant la gloire de Dieu et en construisant son Royaume.

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