<%@LANGUAGE="JAVASCRIPT" CODEPAGE="CP_ACP"%> Maurice Marois
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Institut de la Vie

 

château de Dampierre

château de Dampierre

 

«La vie, bien premier»

Pierres blanches (suite)

MESSAGE A L’INSTITUT DE LA VIE

André MAUROIS
De l’Académie Française

 

 

André Maurois

« Celui qui augmente sa science augmente-t-il sa douleur ? » La science n’amène fatalement ni douleur ni bonheur. Elle apporte à l’homme des recettes, des forces, des hypothèses. A lui d’en tirer le meilleur parti pour l’espèce humaine.
Considérons par exemple la physique nucléaire. Elle peut amener la destruction totale ou partielle de l’espèce humaine, dans de grandes souffrances. Les industries, les laboratoires, les œuvres d’art disparaîtraient. On reviendrait à une vie primitive et il faudrait lentement, au cours des millénaires, reconstruire la civilisation. Les hommes, peu à peu, réinventeraient la physique, retrouveraient le secret de la bombe atomique, et, après mille ou dix mille ans, tout recommencerait. Une nouvelle guerre nucléaire éclaterait et cela continuerait ainsi pendant les siècles des siècles. C’est le mythe de Sisyphe.
Mais on peut imaginer aussi que la crainte, un certain bon sens, des hommes d’Etat intelligents arrivent à empêcher une troisième guerre mondiale. Alors les progrès de la science amèneraient sur toute la planète une économie d’abondance t un temps paradisiaque où les biens de toute nature seraient à la disposition de tous les hommes. Voilà de  beaux rêves, mais il est utile de les faire, ne serai-ce que pour ne pas perdre tout espoir.
Le savant pourrait dire : «  Je vous apporte, dans ce cyclotron, la paix ou la guerre. Choisissez. » Le corbeau, chez les Anciens, passait pour porter malheur, mais le philosophe disait : « C’est du bonheur, si tu veux, que le corbeau t’apporte. »
Que sera l’avenir de la science ? L’important est de répéter qu’il dépend de l’humanité. Entre la destruction stupide et la coopération heureuse, elle a encore le choix. Plus longtemps. « Est-il si tôt trop tard ? »demande un héros de Montherlant. Non, il n’est pas trop tard, mais voici la minute de vérité où nous aiguillerons notre science vers la douleur ou le bonheur.

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POUR  L’INSTITUT DE LA VIE

Louis ARMAND
De l’Académie des Sciences Morales et Politiques

Mission nouvelle de la biologie

Louis Armand

Etudier le problème du maintien et du développement de la vie apparaît comme un devoir de notre temps.
Pourquoi ne pas prendre comme base la biologie, même si nous estimons que ce n’est peut-être pas en termes biologiques que le problème devrait être posé d’une façon générale ? Mais, comme nous ne savons pas le poser, autant choisir la  biologie. Cette base de départ est très supérieure à la physique et à la géométrie.
Quand, à l’aube de la médecine, des hommes se sont occupés du corps humain, ils n’auraient pu préciser les contours du domaine qu’ils osaient aborder. Cependant, ils ont eu grand mérite à le faire.

Menaces sur la vie

L’homme ne peut pas être séparé du reste de la vie, non seulement de la chaîne biologique, mais de tout ce qui l’entoure, de tout ce par quoi il vit, de la biosphère. Ce  qu’il faut défendre, c’est la symbiose dans laquelle vit l’homme.
Je crains autant que le risque atomique l’absence d’eau potable, l’absence d’eau en général, même dans un pays comme la France, dans vint-cinq ans. Je redoute aussi la pollution de l’atmosphère : elle est peut-être plus grave qu’on ne le croit ; il n’est pas certain que la santé des jeunes générations élevées au niveau d’un pot d’échappement ne soit pas compromise.

Respect de la vie et culture biologique

Que la biologie fasse partie de la culture, tel est l’un des premiers objectifs de notre action. Il faudrait que toute personne qui termine ses études secondaires –soit un Français sur deux, dans quelques années – ait le respect de la vie grâce à la biologie.
La classe de 3e est peut-être bien choisie : dix ou onze ans pour les mathématiques et la physique, treize ou quatorze ans pour la biologie, mais pas plus tard. Et, en tout cas, pas d’étudiants qui apprennent l’histoire naturelle en classe de philosophie, pour la dédaigner, malgré les progrès qu’elle a faits.

Priorité de l’homme

Le problème urgent n’est pas tellement la vie au point de vue biologique, mais la vie au point de vue de ce qui caractérise l’homme, c’est-à-dire de ce qu’il porte de transcendant. Ce qui est précieux, c’est le dernier support, ce qui a été ajouté au pithécanthrope. Car nous ne voulons pas ne développer que le substratum de l’humain et du supra-humain.

L’homme et la société

Il faut poser le problème général de l’homme. L’homme baignant non seulement dans la biosphère mais dan la société. L’homme est en équilibre dans la biosphère, au milieu d’êtres humains qui interviennent de plus en plus sur lui. Car la grande mutation, c’est l’influence de plus en plus grande de l’ensemble des humains sur l’individu et, réciproquement, de cet individu sur l’ensemble. Tel est l’un des points pour lesquels nous aurons besoin d’une mathématique nouvelle. La défense de l’homme inclut aussi la société, puisque l’homme vit en société et qu’il faut le défendre contre une mauvaise société. L’aspect de la guerre n’est pas seul envisagé, mais l’aspect plus vaste de l’équilibre des sociétés.

L’angoisse

Je pense que le problème principal, c’est l’angoisse. Je crois à l’angoisse du monde, parce que le monde fait des progrès non seulement en science, mais en compréhension, en échange d’informations. Que devient l’humanité au moment où des hommes peuvent avoir tous les jours une information sur n’importe quel fait, à l’échelle du monde, au moment où au lieu d’apprendre simplement la nouvelle qu’il est mort beaucoup de petits Chinois nous voyons les photographies des cadavres ? Celui qui peut agir n’a pas d’angoisse. Mais ceux qui vont rester spectateurs, là, devant leur écran de télévision, sans agir, ne se sentent-ils pas lâches ? Pour illustrer ce que sera le niveau de l’angoisse, il faut vraiment imaginer ce que la technique peut réaliser. Désormais, il est possible de programmer des satellites porteurs de charges nucléaires qui pourront être lâchées n’importe où avec une très grande précision. Cette fois, l’épée de Damoclès thermonucléaire sera une réalité matérialisée par le fait qu’on la verra passer tous les soirs au-dessus de soi, comme on a vu Echo cet été.

L’Institut de la Vie

L’homme a besoin d’être associé à l’évolution de la biosphère et de la société humaine. Qui refuserait de faire partie d’une ligue de la défense et de la promotion de l’homme ? Mon adhésion est totale.

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L’INSTITUT DE LA VIE ET SES PROBLEMES

René POIRIER
De l’Académie des Sciences Morales et Politiques

René Poirier

L’institut de la Vie a suscité dans tous les pays et dans tous les milieux tant de sympathies, tant d’adhésions enthousiastes qu’étant désormais assuré d’un appui très fort, d’une audience très large, il se doit de ne pas décevoir et d’apporter à une telle ferveur un véritable aliment et à tant de confiance une justification. Il faut donc qu’il précise et fasse connaître la charte de son entreprise et le programme de son travail.
Nous ne saurions être en effet une simple chaîne de bonté ou d’amitié internationales, si sympathiques, si utiles que puissent être des institutions de ce genre, ni un simple prétexte à des réunions idéalistes mais vagues : communier, communiquer demande une doctrine et une tâche concrètes.
Nous ne prétendons pas unir les gens pour célébrer confusément les louanges et le culte de la vie, pour exalter une religion, une mystique de la vie en général, qui d’ailleurs risqueraient, sur certains points, d’inquiéter et de prêter à divagations. Nous voit-on reprendre les vieilles religions de la fertilité et de la procréation, qui ont exprimé certes des sentiments profonds et naturels, mais qui se sont bien souvent égarées ? Ni même celles qui, irréprochablement, ont prêché le respect universel de la vie sous des formes les plus humbles : il ne s’agit pas de reprendre les passoires bouddhistes à filtrer l’eau, ni d’encourager les restaurants végétariens. Nous n’avons pas l’intention d’être, à une échelle très agrandie, une société protectrice des animaux ou une ligue contre la vivisection, encore que, cette fois, il s’agisse de choses sérieuses et que la souffrance de nos « frères inférieurs » et déjà conscients nous touche et que nous désirions expressément tout faire pour l’abolir ou du moins la diminuer. Mais, pour l’instant, la vie qui nous touche essentiellement est la vie humaine.
Il ne s’agit pas non plus de faire la mouche du coche en répétant aux gouvernements et à l’opinion que la vie est respectable et sainte et qu’il faut perpétuellement y songer. Peu de gouvernements font aujourd’hui profession de mépriser la vie humaine ou de la sacrifier à quelque œuvre matérielle ou même purement politique. Tous au plus acceptent-ils, officiellement, de sacrifier une génération aux générations futures, quelques hommes à l’humanité. Nous risquerions donc de bourdonner inutilement.
Et pourtant, ici déjà, nous avons une tâche réelle, qui est d’être une conscience, une mémoire, une activité de réveil. Bien des initiatives se font jour pour défendre ou promouvoir la vie dans les livres, les journaux, les parlements, les administrations. On convient qu’il faut agir. Et puis les campagnes de presse se lassent, les projets, les dossiers vont dans les cartons, l’oubli tombe et l’inertie l’emporte. Il serait sans doute bon qu’un organisme toujours en éveil groupe les suggestions, les projets, les tienne à jour et vienne rappeler en toute circonstance ce qui doit être fait et reste à faire. Réveiller les pouvoirs, réveiller l’opinion : voilà notre première tâche, et celle-là n’est pas vaine.
De même, nous ne prétendons pas nous substituer aux techniciens et aux savants, et avoir nos propres laboratoires. Cela coûterait trop cher, cela ferait trop d’efforts perdus, trop de travail dispersé et trop d’interventions incompétentes. Ce n’est pas nous qui nous occuperons de la protection routière, de l’urbanisme, de la défense contre les fumées ou la pollution de l’atmosphère ou du milieu, de la lutte contre les épidémies, les inondations ou la faim, contre les dangers atomiques ou radiologiques. C’est, sur le plan technique, l’affaire des gouvernements ou des institutions internationales.
Pourtant, en ce domaine même, nous pouvons agir. Soit en soumettant des suggestions aux institutions établies, en servant de « boîte à idées », soit en les subventionnant en certains cas ou en intervenant auprès des pouvoirs qui peuvent les subventionner, soit en en faisant connaître l’œuvre et les résultats, soit même en constituant une sorte d’œuvre des « Vocations scientifiques ou techniques pour la défense de la vie », et en suggérant des recherches ou des institutions nouvelles. Et je laisse ici de côté la technique classique des prix, des débats, des congrès. Nous pouvons aider à ordonner, unifier, vivifier les efforts. Et j’ajoute que par notre caractère désintéressé, apolitique, ne recevant de consigne d’aucun gouvernement et gardant jalousement notre indépendance vis-à-vis des pouvoirs et des pressions de toute espèce, nos avis peuvent avoir une influence privilégiée.
Maintenant, il y a une œuvre qui nous appartient en propre, et c’est une œuvre de doctrine morale et axiologique, car la vie pose une série de problèmes, d’antinomies, de cas de conscience. Et ici les techniciens, les savants ont besoin du concours des politiques, des philosophes, des théologiens même. Dans le savant même, sur de tels problèmes, celui qui est compétent, ce n’est pas l’homme de laboratoire, l’ingénieur, le spécialiste ès qualités, c’est l’homme total, moral et religieux, et il convient que les hommes de science, s’ils ne veulent pas adopter des solutions dogmatiques trop simples, trop partiales, trop liées à des traditions ou à des préjugés professionnels, s’associent à d’autres dont le souci constant et comme professionnel à sa manière est d’étudier les problèmes moraux de la vie et de l’action.
Certes, la technique, la pratique nous proposent perpétuellement des problèmes nouveaux, qu’il s’agisse de dangers ou de possibilités favorables, d’espérances, presque de promesses, et elles nous proposent diverse solutions, divers remèdes, divers agents de progrès. Mais il y a aussi des problèmes de choix, des options inévitables. Il est très facile de résoudre les problèmes de déontologie médicale en invoquant le serment d’Hippocrate (qui n’est tout de même pas le Décalogue ou l’Evangile) ou de principes généraux comme « l » médecin n’est fait que pour défendre la vie », etc., mais c’est un peu simple. Par ailleurs, les morales médicales et biologiques varient étrangement et se contredisent trop dans leurs dogmatismes successifs pour qu’on accepte sans réserve la dernière éclose. Quant à dire que le savant atomiste est le seul juge de l’emploi de ses découvertes, c’est simplement un enfantillage déplaisant.
On voudrait aussi pouvoir formuler une doctrine universelle touchant les problèmes moraux liés à la défense et à la promotion de la vie, dont les modalités d’application seules, et non les principes, pourraient varier (suivant les nécessités ou simplement les opportunités nationales ou historiques). Il devrait y avoir une éthique commune de la vie.
L’Institut de la Vie s’est donc proposé de constituer des espèces de comités de sages, qui, pris parmi des hommes de bonne volonté et décidés à s’informer des divers aspects des questions, réfléchiraient en commun et discrètement à un certain nombre de problèmes posés par le progrès des sciences de la vie ou liés à la vie et qui essaieraient, discrètement, de formuler une opinion commune, quitte ultérieurement à la manifester.
C’est que, s’il y a des périls et des idéaux sur lesquels tout le monde est d’accord et pour lesquels se pose seulement un problème de recherche et de mise en œuvre techniques, il est des cas infiniment plus incertains et litigieux, de véritables cas de conscience.
Nous voulons tous prolonger la vie humaine, éviter la souffrance, lutter contre la misère, l’ignorance, l’avilissement social, tirer le maximum des malades, des infirmes, des anormaux, supprimer les guerres, empêcher la dégénérescence de l’individu ou de l’espèce. La difficulté est d’abord de trouver les remèdes, ensuite la difficulté est d’abord de trouver les remèdes, ensuite d’échapper au danger des remèdes, et ici se pose une question primordiale : quelle est la marge de risque que  nous devons accepter, puisque nous ne pouvons pas renoncer au progrès par crainte des dangers connus et inconnus qu’il comporte ? Nous savons bien qu’il y a eu et qu’i y aura encore des piétons innocents écrasés par des automobilistes. L’industrie atomique comporte des menaces radiologiques graves pour l’individu, pour la race humaine, pour tous les vivants. De même la pharmacologie. Il faut donc confronter les thèses de physiciens et des biologistes, en principe unilatérales et opposées, et tenter un arbitrage. Notre Institut est appelé naturellement à réfléchir et à intervenir en cette occasion, comme en bien d’autres du même genre.
Nous arrivons ainsi à des problèmes de principe infiniment délicats, à des cas de conscience graves, qui se posent chaque jour devant nous et qui ne sont résolus qu’imparfaitement, arbitrairement, et de manière souvent contradictoire.
Ils sont liés à deux faits essentiels et d’ailleurs liés.
L’un est que défendre la vie c’est presque toujours préférer une vie à une autre, c’est choisir, non seulement entre des vies animales et des vies humaines, mais entre des vies réelles et des vies éventuelles, et quelquefois entre des vies humaines réelles.
L’autre est que, à côté du fait même de la vie, il y a la digité de cette vie, ce qui en fait la valeur, ce qui lui fait mériter véritablement le nom de vie ; l’aliénation, la maladie, la misère même font que des hommes qui subsistent ne sont pas toujours réellement des vivants. Il y a des personnes véritables et il y a des monstres vivants. Défendre la vie, ce n’est pas simplement faire que des êtres subsistent mais qu’ils réalisent ce minimum de conscience, de dignité, de bonheur qui fait que leur vie mérite d’être vécue. D’où un double problème, l’un théorique : déterminer à quelles conditions matérielles et morales une vie est désirable et respectable, l’autre pratique : dire comment réaliser ces conditions et accroître le nombre de vivants chez qui elles peuvent être effectivement réalisées.
C’est de tout cela qu’il nous faudra tenir compte, lorsque nous aborderons les difficiles problèmes liés à la naissance, à la mort, à la maladie, à la souffrance, problèmes de nature foncièrement éthique, mais en symbiose avec des problèmes proprement biologiques et scientifiques.
Evoquons-en quelques uns, parmi ceux qui se poseront bientôt à nous.
Il y a le problème de la liberté et de la planification des naissances qui met en cause à la fois les droits imprescriptibles de la mère, les intérêts de l’enfant, les nécessités sociales. Il ya celui de la stérilisation volontaire, de l’insémination artificielle, de la fécondation étrangère ou post mortem. Il y a l’ensemble des problèmes de l’eugénique, que nous ne saurions évidemment envisager que dans un cadre de liberté et de respect de la  personne humaine.
Il y a les problèmes liés à la mort, depuis celui du suicide jusqu’à celui de l’euthanasie ou simplement de l’acharnement thérapeutique : faut-il sauver à tout prix l’enfant monstrueux, le vieillard aux souffrances intolérables et incurables ? Et l’avortement thérapeutique pose aussi bien des cas de conscience qu’on ne résoudra pas en trois phrases péremptoires et pédantes. Des procès récents et douloureux nous le rappellent.
Il y a tous les problèmes de l’expérimentation médicale qui vont devenir de plus en plus dramatiques au fur et à mesure que l’opinion en prend conscience et que les malades s’en défendent. Dira-t-on qu’on ne tentera d’opérations, qu’on n’utilisera de remèdes que s’ils ont été largement éprouvés à l’étranger ? Solution un peu simple et purement nationale. On sait très bien que nulle expérimentation in vitro ou sur l’animal n’éliminera complètement le danger pour l’homme et pour sa descendance ; un risque est inévitable. Qui doit le supporter ? Dans quelles conditions, sous quels contrôles ?
Et des problèmes analogues se posent pour la formation professionnelle des médecins et surtout des chirurgiens.
Pour les cadavres mêmes, pour les autopsies, pour le prélèvement des greffes, des problèmes du même genre existent et prendront sans doute d’ici peu une grande acuité.
Signalerai-je un problème connexe et dont nous ne saurions nous désintéresser : le droit pour les malades à être informés de leur mal et du  traitement qui lui est donné, des périls qu’ils courent et de la gravité de leur état ? Entre l’impérialisme médical et les exigences excessives des malades, quel juste milieu trouver ? Et comment ne pas évoquer ici le problème du secret médical, de la déclaration des maladies contagieuses, des vaccinations obligatoires ? Ne conviendrait-il pas de constituer, si difficile que cela paraisse, en dépit des traditions nationales, des options religieuses, des intérêts ou des amours-propres corporatifs qui souvent s’affrontent, une doctrine commune à tous les hommes ?
Et s’il s’agit des expérimentations sur la race même, des essais pour transformer, pour améliorer l’être humain, avec tous les danger que cela comporte, que de difficultés non seulement techniques mais morales. Rien ne serait plus illusoire et plus vain que d’interdire à priori, au nom de quelques principes arbitraires, toute intervention sur le cours naturel de l’ontogénie ou sur l’évolution de l’espèce. La nature humaine n’est ni fixe ni parfaite, mais quels appentis sorciers nous risquons d’être.
Voilà donc toutes sortes de problèmes qui s’enchaînent à bien d’autres touchant l’éducation, l’enfance, la protection des malades et des vieillards. Et ces problèmes, cette fois, ne sont pas de simple technique, de simple mise au point, dans le cadre d’une intention, d’un idéal commun. Il faudra, pour les résoudre, confronter des doctrines initialement opposées et essayer d’arriver à une doctrine faisant l’accord des esprits. Et c’est là, je crois, la plus importante de nos tâches. Si nous pouvions, sur ces points controversés où l’opinion se divise, où le législateur hésite et tâtonne, proposer un certain nombre d’idées et de solutions reflétant une pensée commune, susceptible d’orienter l’action sociale et politique  vers la défense de la vie, nous aurions justifié et consacré notre entreprise. Or, de grands espoirs sont permis, et il est du plus heureux augure que la seule commission qui se soit réunie jusqu’ici entre nous, pour l’étude d’un problème concret, en l’espèce celui de la réforme de la loi de 1920, soit arrivée aisément à des vues libérales communes, je dirais presque contre toute espérance. Quel meilleur encouragement à notre effort, quelle meilleure justification de notre entreprise ?
Ajouterai-je maintenant que, dans l’étude et la discussion de tels problèmes concrets, on ne fera pas l’économie d’une philosophie de la vie, et qu’il ne suffira pas de dresser le bilan des connaissances positives reçues de tous les savants, ni de confronter et de sommer les opinions communes en matière de morale biologique. Une mosaïque, un condensé d’assentiments empiriques, cela ne va pas bien loin. Si, par exemple, le principe de l’égalité des hommes et des races est valable, ce n’est ni parce que l’anthropologie nous l’impose, ni parce que l’opinion commune s’y rallie, mais seulement pour des raisons de morale théorique.
Mais qu’entendre par une philosophie de la vie ? C’est tout d’abord une philosophie de la signification de la vie dans l’univers, prélude à une philosophie de la condition humaine. Elle part nécessairement de la science elle-même, et cherche à nous faire comprendre comment des êtres organisés se sont formés, en des centres d’élection, en tels ou tels points (combien rares), en tels ou tels instants de l’univers et de son histoire ; comment les organismes ont évolué, suivant quel progrès, à l’aide de quels mécanismes physicochimiques, vers quoi ils tendent, en quoi ce progrès résulte d’événements mécaniques et fortuits, et en quoi il nous révèle une incompréhensible finalité, que l’on ne peut penser que dans  un contexte philosophique d’ensemble ; comment apparaissent l’individualité psychique et la conscience, alors que l’individualité biologique est déjà bien difficile à caractériser, tant l’organisme nous apparaît en symbiose avec le milieu physicochimique, et susceptible d’être modifié par ce milieu, par des greffes, par des actions génétiques. Le problème de l’individualité psycho-organique, en un temps où l’individualité même des éléments physiques se révèle équivoque, avec tous les problèmes d’origine et de destinée auxquels il se relie, est pour nous un problème clé. Autour de lui s’épanouissent mille sentiments d’émerveillement et de mystère.
Une philosophie de la vie, c’est aussi une philosophie de la valeur de la vie, sous ses diverses formes, ou, si l’on veut, des valeurs liées à la vie. Mais elle est solidaire de la précédente, car le caractère sacré ou simplement précieux de la vie humaine  est lié à une image d’ensemble du monde vivant et de sa signification, et si nous internons un dément criminel ou sadique au lieu de l’abattre, c’est que nous avons un sentiment de la dignité de l’Homme, au milieu de la Nature, qui transpose ce que l’on exprimait traditionnellement en disant qu’il est une image, une créature ou un membre du corps de Dieu. Comment ? C’est ce qu’il nous faut chercher. Je doute fort, pour ma part, que la chose soit possible dans un plan strictement biologique ou sociologique.
Sans doute, nous nous mettrons aisément d’accord sur quelques mots. Qui ne dira qu’il faut défendre le bonheur, la puissance, la liberté, la dignité de l’Homme ? et qu’il faut simplement définir à quoi et dans quelle mesure ces idéaux peuvent être partiellement sacrifiés, pourquoi et pour qui, individuellement, nous vivons ?
Seulement cet accord n’est que sur les mots, et nous sommes aujourd’hui en plein désarroi et pour certains, par exemple, la liberté n’est que celle du vrai, c’est-à-dire l’opinion d’un Etat sacralisé par l’Histoire, ou ce qu’on dit être l’Histoire. Et il en serait sans doute de même pour tous les problèmes particuliers sur lesquels s’analyse notre interrogation fondamentale : qui sommes-nous ? quel homme voulons-nous être ? dans quelle société, dans quel monde à connaître et à construire, qui mérite notre dévouement et notre sacrifice ? Et devons-nous essayer de susciter dans l’avenir un homme plus digne de ce nom, par l’éducation ou même par la réforme de son organisme ?
C’est une grande amertume que de voir mettre en doute par l’histoire contemporaine (que les vieux noms soient conservés ou abandonnés, peu importe) les valeurs dont nous avions l’illusion, il y a un demi-siècle, qu’elles s’imposaient peu à peu, constituant un point de convergence des doctrines rationalistes, peu à peu humanisées et vivifiées, et des doctrines religieuses, peu à peu rationalisées. Et les arguments les plus abandonnés contre les droits de la personne humaine, au sens courant, sont repris de tous côtés par ceux-là même qui les flétrissaient ou par leurs fils. Et les vieilles invectives contre le droit, les institutions juridiques, les contrats, les traités revivent de toutes parts, si bien qu’on ne sait plus ce qui oblige et ce qui justifie.
Ne pouvons-nous espérer retrouver une doctrine commune touchant la vie, son ascension humaine et ses valeurs idéales ? La défense et la promotion de la vie sont-elles un cadre conceptuel et affectif favorable à une telle recherche et à un tel accord ? Nous l’espérons. Certes un changement de point de vue, une présentation nouvelle des problèmes n’ont pas de vertu souveraine et ne résolvent rien par eux-mêmes. Mais ils peuvent être l’occasion à la fois d’une prise de conscience plus complète et d’un effort plus sincère et plus tenace de connaissance et d’union des esprits.
Notre Institut voudrait en être le cadre et l’inspirateur, tout en sachant bien le danger des généralités théoriques et des effusions pures. Il voudrait ainsi associer  la réflexion d’ensemble sur la vie à la discussion des problèmes concrets qui lui sont liés, comme on associe la recherche fondamentale à la recherche industrielle. Il y faudra beaucoup de patience, de travail, de sincérité, mais nous sommes résolus à les y mettre.

Avouerai-je que j’ai été récemment surpris, et presque déconcerté, à l’occasion d’une réunion internationale de jeunes, de voir quel zèle spontané ce thème de la défense et du développement de la vie avait suscité chez de jeunes intellectuels venus de tous les pays et notamment de ce qu’on appelle aujourd’hui assez souvent le « Tiers Monde » ? Ils s’en sont emparés comme d’une espèce de drapeau, pour en couvrir une spiritualité encore mal définie, mais fervente, qui cherche à se formuler d’une manière originale en s’opposant à la fois à la dogmatique matérialiste et à la décevante orthodoxie communiste et aux divers spiritualismes ou aux diverses religions liés à la tradition européenne. Le thème de la vie leur semblait avoir quelque chose de plus universel, où chaque peuple peut apporter à droit égal, sa contribution, quelque chose aussi de plus directement lié au progrès de la science. On peut faire quelques réserves sur les motivations inconscientes de ce zèle, ou sur la possibilité de construire une philosophie et une éthique de la vie sans référence aux doctrines traditionnelles, le fait n’en est pas moins curieux et émouvant.

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