une philosophie (suite)
Des antimémoires à l'Institut de la Vie
Maurice Marois à André Malraux
La mort est un des thèmes dominant de ce grand livre. Mais la vie y est aussi présente : « Mort et vie, les deux mouvements fondamentaux de la pulsation du monde… La vie, énigme fondamentale… livret d’une musique inconnue. »
C’est dire combien l’Institut de la Vie tente d’insérer sa démarche dans votre vision du monde.
La poussée de l’Institut de la Vie se développe le long de deux lignes de force :
1°- Nous nous posons les questions que la vie « pose à la signification du monde : la vie, énigme fondamentale, livret d’une musique inconnue, la vie qui impose l’idée d’une volonté et d’une métamorphose sans fin ». « Toutes les formes captent leur part d’insaisissable. Pour toutes, à des degrés divers, le réel est apparence, avec la perfection de l’éphémère. Autre chose existe, qui n’est pas apparence. Son langage est celui de la vérité… langage de l’éternel et du sacré… Ce réalisme d’autre monde – le seul durable – est le nôtre. » Nous engageons la science dans une démarche de contemplation puisque, pour la première fois, d’une manière concertée, nous avons rapproché la physique théorique de la biologie. Au-delà de la diversité et de la profusion, formes de la nature, nous tentons de saisir les lois simples et belles qui les sous-tendent. Ces lois ressortissent à la mathématique et apparaîtront pour les croyants comme un reflet de la pensée de Dieu.
2°- L’évidence fondamentale de l’Inde est « l’infini de la vie dans l’infini du temps ». Le grand fait nouveau pour l’Occident est la mort – non pas de toute forme de vie –, mais le péril de mort sur l’actuelle forme achevée de la vie, la forme humaine. Le réalisme de l’Institut de la Vie est le réalisme de la fraternité : « fraternité, caresse désespérée qui ferme les yeux des morts » - mais aussi tendresse chargée d’espoir qui veille sur la vie qui veut vivre. Nous voulons « donner aux hommes leur chance » : non pas à la vie – car la vie nous survivra –, mais aux hommes.
L’enjeu : s’il est vrai que l’Occidental peut tenir pour valeur suprême la connaissance des lois de l’univers « alors que l’Hindou tient pour valeur suprême l’accession à l’absolu divin », peut-être par l’Institut de la Vie l’Occidental découvrira-t-il que la connaissance des lois de l’univers est un itinéraire pour l’accession à l’absolu divin. « L’Occident connaît sa plus violente métamorphose depuis la fin de l’Empire romain. Notre civilisation des machines est la première civilisation sans valeur suprême pour la majorité des hommes. Dans cette civilisation de l’action, chacun est possédé par l’action : l’action contre la contemplation, l’instant contre l’éternité… Les rêves de justice et les rêves de puissance finissent par livrer l’homme à la machine. Toute civilisation est hantée par ce qu’elle pense de la mort… L’intensité de la civilisation occidentale vient de la mort… Nous sommes dans le cycle du sang, du sexe, de la sentimentalité, de la politique et de la mort… En 50 ans, notre civilisation qui se veut et se croit – et qui est – la civilisation de la science deviendra l’une des civilisations les plus soumises aux instincts et aux rêves élémentaires que la vie ait connues.
La conscience plénière du sens de la vie porte le rêve d’accomplissement. Nous voulons une mise en question de l’action et de la mort par la vie. Nous faisons appel à ce qui est le plus viscéral en l’homme, l’instinct de conservation, mais aussi à ce qui est le plus élevé : le bon usage de la liberté, la responsabilité. Nous voulons aller du réel d’outre-monde au réel de notre monde, de la nuit au jour, de la mort à la vie, de l’instant à l’éternité, de l’action à la contemplation, pour retourner de l’éternité à l’instant et de la contemplation à l’action.
Mais nous devons dépasser « l’illusion lyrique ». Au bout de la traversée du désert, voici que notre délégation de l’invisible – de la réalité « d’outre-monde » - affronte la dure réalité politique et ses jeux mortels parce qu’ils sont l’affrontement des puissances. L’exigence de vie brisera-t-elle les affrontements ? Fera-t-elle confluer les puissances pour assurer sa pérennité ? Si « la politique implique la création puis l’action d’un Etat », notre politique implique la création puis l’action d’une institution. Nous avons la certitude que « la décision ne doit pas être différée car l’avenir dure longtemps ». Si « l’Inde est mariée avec la mort, la France et l’Occident ne pourraient-ils pas épouser la vie ? » Parce que nous nous faisons une « certaine idée de la France », nous croyons que l’Institut de la Vie n’est pas né en France par un accident de l’histoire, et nous souhaitons maintenir au sein de notre institution inéluctablement mondiale l’inspiration qui lui donnera « cette certaine idée que nous nous faisons de la France ».
Maurice Marois
1968
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