La maturation
Bilan d’étape, onze ans plus tard.
François de Clermont-Tonnerre
Paris, le 11 février 1971
Très cher Ami,
Partie comme une simple lettre, cette missive a pris des proportions inusitées.
Cependant, après avoir mis plus de huit jours à la taper et donc à la repenser, je crois devoir vous l’envoyer telle quelle.
Il y manque un dernier aspect : celui des Relations Publiques. Et je crois que nous ne pouvons plus le négliger. Les nombreuses réactions que j’enregistre, dans tous les milieux sociaux, convergent sur cette question :
« Comment se fait-il que vous soyez connus et reconnus dans le monde entier, hors de France, et ignorés dans votre hexagone ? »
L’aseptisation politique que nous avons consciemment pratiquée n’explique pas tout. Pour les Médias qui orientent les options et les sélections, à tous les niveaux du monde dans lequel nous vivons, nous avons cité « azoïques » - ce qui est un comble !
Il faudra, ensemble, beaucoup réfléchir là-dessus ! et vite. En tout cas,
« Je t’apporte l’enfant d’une nuit d’ Idumée »
Très affectueusement,
François de Clermont-Tonnerre
Bertangles, 31 janvier 1971
Très cher ami,
Je profite de devoir être plus à Bertangles, ces semaines pré-électorales, pour réfléchir sur l’Institut de la Vie.
- Ce que nous avons voulu, tous deux, en le fondant ;
- Ce que nous – et surtout vous – dans une symbiose totale en avons fait.
- La – ou les – réponses aux critiques faites à nos options. Vous me direz, si vous avez le courage de lire jusqu’au bout ce trop long document, si je dévie de notre Orientation première. Car je crois essentiel – pour le passé – d’affirmer que pendant ces onze ans notre union de pensée, notre communauté d’action ont été totales.
I – ENONCE DU PROBLEME.
En 1960, le problème de la Vie émergeait dans les consciences supérieures.
La bombe atomique – disons l’atomisme – avait sentimentalement, subjectivement, remué les consciences de ses auteurs et aussitôt servi de terrain politique à ses utilisateurs.
Le problème de la vie se posait d’une façon globale. Mais faussée, puisqu’il y avait eu en fin de compte moins de victimes et de destructions à Hiroshima que dans les six derniers mois de bombardements sur l’Allemagne : la Saar, la Ruhr, Berlin, Dresde, etc. La politique interdit de parler de l’anéantissement, à Katyn, de la quasi-totalité des cadres polonais, des dizaines de millions de tueries systématiques pratiquées dans les territoires conquis de l’URSS, des dizaines de millions d’êtres humains massacrés dans les camps, des millions de victimes des exécutions staliniennes, des liquidations enfin qui n’ont jamais pu être chiffrée, mais qui se chiffrent aussi par millions, exécutées par les Japonais en Mandchourie, en Chine et en Asie du Sud-Est.
A coté de cela, Hiroshima… où les pertes de vies et de biens sont très inférieures au chiffre le plus officiel des pertes subies en quelques mois de « Libération » de la France !
Pourtant, en 1960, nous pressentions pire : le « mauvais usage » des découvertes scientifiques dont les savants devenaient alors pleinement conscients.
Imprégnés des dangers que nous voyions poindre, c’est ceux-là, les responsables de la science que nous avons d’abord voulu alerter et grouper.
Comment ? Nous avons voulu associer les responsables et les concernés.
A – Les responsables créateurs.
Votre intuition de génie a été de les sentir discrètement malheureux.
Sans pouvoir, en toute liberté, se libérer de leurs fantômes en se connaissant mieux. Ensuite, en découvrant, dans les disciplines qui leur étaient étrangères, les mêmes résonances. Quelles que fussent leurs déterminations : lieux d’environnement, couleur et race, philosophie, contraintes sociales.
Vous avez, dès le premier jour, fixé le but à atteindre en évoquant le collège de France.
C’est, je crois, la partie qui a été la moins comprise par nos compagnons de route. C’est cependant elle qui, vous et moi, nous unit aussi intimement que des « bessons ».
Ce qui reste pour l’Institut de la Vie, après dix ans d’effort, « le Tout ou le Rien ».
Et nous devions être « inspirés », dès les premiers jours, grâce à vous, missionnaire, puisque jusqu’à présent, chaque fois, le miracle s’est produit.
J’estime, voyez-vous, beaucoup plus extraordinaire la conjonction que vous avez réussie de ceux qui ont été déterminés pour être les « phares » que le fait d’avoir assuré la conjonction des moyens. « Qui enverrai-je, quel sera notre messager ? (dit la voix du Seigneur).
Je lui réponds : Me voici, envoie-moi !
Il me dit :
« Va, et dis à ce peuple :
Ecoutez de toutes vos oreilles sans comprendre,
Voyez de vos yeux sans apercevoir…
Il sera dépouillé comme un térébinthe,
Qui n’a plus qu’une souche, une fois abattu.
La souche est une semence sainte. » (Isaïe, II-6)
Résumons notre propos :
1) – Les savants avaient mauvaise conscience de l’utilisation de leurs recherches par notre civilisation.
2) – Les choses étant ce qu’elles sont, ils ne pouvaient guère se manifester parce qu’ils ne se rencontraient que sur des objectifs déterminés et limités.
3) – Le monde politico-économique dans lequel ils vivaient rendaient leurs contacts difficiles. Il leur était, en général, interdit de sortir des normes qu’ils étaient censés représenter, et physiquement de leur propre pays.
4) – Il fallait donc, au sommet, rétablir une certaine liberté vasée sur la confiance réciproque. Pour cela,
- inspirer confiance à tous, sans discrimination,
- s’abstraire de tout engagement.
Ce qui inspirait une lente et prudente Cooptation, issue d’une sélection libre et incontestée.
Telles sont bien les normes dont nous n’avons jamais accepté de nous départir.
B – Les Concernés.
C’est dans cet esprit-là, en vertu de ces principes, que, dès le départ, nous avons tenu à associer les masses à une entreprise au sommet.
Attention : nous ne leur avons jamais menti, nous ne les avons jamais leurrées. Nous avons toujours tenu le même compte de l’opinion de la FMAC, de la Mutuelle et… du Patronat. Nous ne nous sommes jamais soumis à aucune pression.
Aujourd’hui, « puissants et solitaires », nous n’entendons pas nous « endormir du sommeil de la terre ».
Alors ?
II – Analyse critique de notre action.
Comme à Poitiers : « Père, garde-toi à droite ; Père, garde-toi à gauche ».
Mais la difficulté vient de ce que nous avons fait cela en pleine période de mutation.
Vous et moi sommes catholiques, et croyants. C’est notre secret, notre engagement mystique.
En 1960, le 8 septembre, fête majeure de Marie Médiatrice, les choses paraissaient encore simples :
- d’un côté l’Eglise, à laquelle nous appartenions, qui nous fournissait les garde-fou, nous indiquait les limites de notre tolérance, et, grâce à Teilhard de Chardin, la possibilité d’un dialogue avec ceux qui partageaient nos préoccupations, dans une axiomatique commune ;
- de l’autre, des esprits hantés par les fantômes de l’an Mille, désireux de se libérer d’une systématique à leurs yeux périmée (Jean Rostand) ;
- enfin – et peut-être n’en avons-nous pas compris la pleine signification, des éducateurs conscients de la faille qui s’ouvrait entre notre Civilisation et ses Jeunes. Eux comme nous ont été surpris par Mai 68.
Je ne suis pas sûr que, déjà engagés dans la structuration de l’Institut de la Vie, nous en ayons pleinement ressenti l’impact. Vous l’avez néanmoins éprouvé en Suisse, et ce souvenir vous hante.
III – Alors, quel cap ?
Concevant dans un temps relatif, par suite de nos disciplines, vous et moi dès le début avons simultanément refusé le « Suicide Beau » (Oppenheimer, Paulings, von Weiszaeker) et le « Mouvement qui déforme les lignes ».
En langage clair, cela veut dire que nous ne croyions guère aux pancartes dans la rue, pas plus qu’à la signature de Manifestes d’Intellectuels.
Mais vous avez pensé qu’il était possible d’acquérir la confiance des plus grands savants du monde et de leur permettre d’évoquer leurs fantasmes, à condition qu’ils soient entre eux, cooptés par eux-mêmes en raison de leurs mérites – et, jusqu’à un certain point, d’une relative « innocence ».
Cela, vous l’avez réussi. D’un avis unanime, l’atmosphère des colloques de l’I.V. est unique, et la preuve en est que « les places y sont chères ».
Et, navigant dans le passage de la Teignouse, ou parmi les méandres des récifs de coraux de l’île Moustique, nous avons gagné sans encombre la haute mer.
Le paradoxe est que là commencent vraiment nos problèmes.
Ils nécessitent des corrections de trajectoire. Car, dans notre esprit, le Temps est une variable dimensionnelle, non une constante. Dès lors, notre impact se situe au point 0 où les signes s’annulent, avant d’orienter vers l’Infini Négatif (le Néant) ou l’Infini Positif (le point Ω).
L’essentiel, pour nous, réside dans la définition des signes : nous ne saurions nous satisfaire d’une indétermination au point 0. Il faut donc effectuer des corrections de trajectoire, afin de rester dans les ensembles positifs.
IV – Les corrections de trajectoire
Dans ce Temps relatif, l’Institut de la Vie a rencontré des souffles des tempêtes magnétiques, des orages solitaires.
Dès sa naissance, ces variations potentielles se sont affrontées à son comportement.
PAUL WEISS, à juste titre, attira l’attention sur la « folie » de vouloir rester hors de toute contrainte financière.
Les sirènes politiques firent miroiter tous les thèmes de la facilité.
Enfin, les palinodies du Garde-Fou spirituel, depuis le Concile, ont remis en question l’Absolu visé par les Fondateurs.
Il y a donc lieu, après dix ans, de corriger la trajectoire. Cette correction doit viser non à replacer mais à maintenir, compte tenu de contraintes nouvelles, l’I.V. sur la trajectoire qui avait été primitivement assignée. Cela paraît évident, si l’on admet qu’il n’a pas dévié du but initialement fixé, mais que, comme les sondes envoyées vers Vénus, il a trouvé des conditions locales imprévisibles, sinon inconnues, qui ont agi sur son comportement.
L’Institut de la Vie doit, aujourd’hui, intégrer les données nouvelles issues de ces péripéties dans son programme intégral.
V – Projection dans l’Avenir de l’Institut de la Vie.
- Ce qui le préoccupe étant indéfini : la Vie ;
- Ce que le conditionne étant, dans un temps afférent, les moyens matériels d’une action parfaitement définie ;
- La synthèse de sa vocation et de son action doit être recherchée dans le sous-ensemble des moyens immédiats.
Là apparaît la difficulté majeure du fait que notre analyse ne débouche ni sur du rentable ni sur du publicitaire.
Nous avons échoué sur le plan bancaire et sur celui des grandes industries parce que nous n’avons rien su offrir en contre-partie : le mot « gratuité » étant exclu de notre Société basée sur le profit. Qu’on ne nous objecte pas les fondations américaines. Chacun en connaît le mécanisme :
- soustraire à l’impôt dont on n’accepte pas toutes les affectations politiques le maximum possible ;
- fournir aux Sociétés Mères de l’argent à bon marché, et c’est une des causes de l’inflation galopante aux USA ;
- disposer de caisses noires permettant de faire face aux mouvements sociaux comme aux besoins de l’hégémonie américaine.
En un mot, un transfert subtil des obligations éventuelles de l’Etat vers des secteurs mieux contrôlés, mais susceptibles d’être à la disposition du Pouvoir Fédéral sous certaines contraintes.
Le problème de l’Institut de la Vie internationalisé, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, es tune analyse financière de ces contrainte devant déboucher sur un Plan permettant d’y échapper, tout en les utilisant.
C’est dans la reconnaissance de ces contraintes, leur analyse et leur sommation, que résident les corrections de trajectoire qui doivent nous permettre d’atteindre notre but.
VI – Il faut donc « intégrer »
Les surfaces sur lesquelles s’exerce notre action peuvent, sommairement, être ainsi définies, à partir de l’origine des abscisses :
- Les masses.
Ce sont les principales concernées, et les plus proches du point d’origine.
Mais leur action, du fait de la proximité de l’axe du levier, est irréversible lorsqu’elles sont « orientées ». - Le contrôle des masses, les Syndicats.
Ils sont affectés d’une dérive politique.
Mais l’analyse de leurs déterminations – qu’il serait trop long de développer, croyez-moi sur parole ! – révèle que cette dérive n’est plus une constante, mais une variable.
Nous devons en tenir compte – mais dans cette définition. - Le contrôle des contrôles de masses.
Ce sont les « groupes de pression ».
Ils sont les enfants illégitimes – mais combien reconnus ! – de la solution (au sens chimique du terme) : - syndicats – technocrates – groupes de pression animés et alimentés par les technocrates, qui ont décidé de « pantoufler » au moment opportun. - Il est bien évident qu’au fur et à mesure que l’on s’éloigne du point d’origine la surface s’agrandit.
Voici les « technocrates ».
Ces monstres sont des tigres en papier. Il faut seulement parler leur langue pour les apprivoiser. Les exemples en foisonnent, dans nos municipalités, nos départements, nos régions, nos relations européennes.
Nous devons nous habituer à les manier « à l’ordinateur ». - Alors, au terme de cette définition, « Nous », l’Institut de la Vie ?
Je n’ai volontairement pas parlé de la Politique qui, de nos jours, ne relève que des facteurs précédents.
Mais c’est précisément là, aussi, qu’opère une variable aléatoire, dont il importe de réduire le coefficient d’indétermination. Cela suppose d’accepter d’agir dans un Temps relatif, mais en lui fixant une origine définie par notre libre arbitre.
En langage clair, les choses étant ce qu’elles sont, l’Administration française, pensée par les Légistes capétiens, organisée par les Parlements de l’Ancien Régime, disciplinée et codifiée par Napoléon I, soumise au contrôle populaire par la IIIè République, régie depuis 1044 par les Lois de Parkinson et de Peter, n’est aujourd’hui qu’un ovule dans l’attente d’un spermatozoïde.
Il nous faut nous déterminer, organiser, vouloir et imposer la chance d’un spermatozoïde.
VII – Axes Orientés
Il ressort de tout ce qui précède que nous devons continuer dans la voie où nous sommes engagés.
Mais nous devons simultanément élargir notre champ d’intervention. Pour rester fidèles à notre pensée, nous ne devons pas aborder les sujets d’actualité immédiate sur lesquels se penchent déjà de multiples organisations et fondations.
Nous devons innover en prenant à bras le corps, comme nous l’avons fait pour la physique théorique et la biologie, l’Informatique, un problème crucial de notre Civilisation.
Le plus grave, dont tout le monde parle mais que nul jusqu’ici n’a osé aborder en vraie grandeur, est celui de la Jeunesse, en ce sens qu’il remet en cause les valeurs que nous avons cherché à dégager dans nos autres domaines d’activité.
Je pense qu’il n’y a pas lieu de chercher plusieurs thèmes, mais un seul, global, qui les contienne tous : la Jeunesse face au monde technocratique et technologique.
Essayons de circonscrire le problème afin de pouvoir en donner un énoncé correct.
La révolte des jeunes tend à « désacraliser » les symboles de l’ordre établi. A cet effet, toutes les outrances sont licites : drogue, libération sexuelle, violence pour elle-même, défoulement, désengagement, affirmation différente. Que l’on ne dise pas qu’il s’agit là d’une infime minorité : tous ceux de l’immense masse des jeunes qui n’y participent pas ou ne vont pas jusqu’au bout de leur révolte intérieure en subissent cependant l’impact.
La violence des idées et du vocabulaire aboutit à une érosion du consensus sur lequel reposaient la cohésion et l’image de marque de la Société proposée aux jeunes à leur entrée – subie, non voulue – et à leur intégration dans la vie de leur époque.
A – Ils se posent, tout d’abord, le problème du travail. Il serait trop long d’analyser la notion de « Travail » depuis les origines de l’humanité jusqu’à la Révolution marxiste. Pourtant, quel beau thème… dans la mesure où c’est le Christianisme seul qui en a fait une tare consécutive à un Péché Originel dont le Cardinal Daniélou, entre autres, paraît être moins sûr au moins dans ses retombées…
Le péché originel repensé – comme y tendent les théologiens post-conciliaires –, la nécessité du Travail, ou sa signification épistémologique mériteraient d’être approfondies, et restituées dans le monde où nous introduisons nos enfants.
Le Travail ne devrait-il pas être libéré de sa gangue de servitude, de « meaningless work », c’est-à-dire d’une contrainte privée de sens ? Peut-être « l’irrésistible impulsion » de Lewis Mumford, qui pousserait l’homme à réaliser tout ce qui est technologiquement possible, au lieu de s’attacher uniquement aux possibilités technologiques utiles à l’humanité, est-elle fausse.
Mais qui définira, dans le Temps et l’Espace, l’utilité ? Voilà des thèmes de réflexion qui sont bien du domaine de l’Institut de la Vie.B – Et puis, la Vie, c’est quand même bien aussi « l’entretien de la Civilisation », si l’on entend par ce terme l’effort évolutif de la Vie vers des formes de plus en plus organisées, ce qui est devenu moins « improbable » et plus conforme aux lois de la Création avec les travaux de Prigogine et surtout de Todeschini.
Citons, sans intention limitative ni exhaustive, quelques aspects susceptibles, dans cette pensée, d’intéresser l’Institut de la Vie.
a) – les circonstances naturelles, que nous appelons maintenant « l’environnement ».
b) – les biens d’équipement : la culture ne se développe jamais sous le signe de la misère : les loisirs sont essentiels au progrès de l’esprit.
c) – les connaissances scientifiques : la Science équivaut au Pouvoir. Les inventions précèdent toujours l’accélération du développement culturel à l’échelle mondiale.
d) – les ressources humaines : la main d’œuvre est encore indispensable pour répandre la Civilisation.
e) – l’efficacité de la somme des ressources matérielles au regard de la liberté de l’esprit.
f) – le problème du langage : des langues qui vivent et qui s’enrichissent assurent l’expansion de la pensée et des projets civilisés.
g) – l’efficacité, et l’impact, d’une mécanisation croissante. Le progrès de notre civilisation semble directement lié au développement et à la possession d’outils, de machines, de canaux de distribution. C’est certain depuis le néolithique : routes de l’étain et du bronze. Des outils améliorés, des machines ingénieuses et efficaces, la transformation des produits bruts déterminent la survie des groupes en lutte dans le cadre d’une civilisation qui progresse.
h) – l’héritage social permet aux hommes de faire la courte échelle en s’appuyant sur tous ceux qui les ont précédés et qui ont contribué – si peu que ce soit – à la somme de culture et de connaissance. Les insectes, par exemple, naissent pleinement éduqués et équipés pour la vie. Le bébé humain naît sans éducation. Les hommes seuls possèdent, en contrôlant l’éducation – ou l’adaptation – de leurs jeunes le pouvoir de modifier l’évolution de leur civilisation – ou de la détruire.
i) – les idéaux raciaux – et leur conjugaison. La force vive morale et spirituelle d’une race détermine la rapidité du développement culturel d’une génération. Les idéaux élèvent la source de son courant social. Ils la préparent – ou la suivante – à la compétition pour la qualité de pensée qui sera le critère des années à venir.
j) la coordination des spécialistes. Au fur et à mesure de l’expansion d’une Société, si elle ne veut pas se figer, il faudra trouver un moyen de regrouper les divers spécialistes. Car, au fur et à mesure qu’ils se multiplient et se diversifient, nécessairement, cette spécialisation d’aptitudes et la dissemblance de leurs emplois finiront par affaiblir et par désintégrer la société humaine si des moyens efficaces de coordination et de coopération ne sont pas mis en œuvre.
k) – l’emploi assuré à tous, mais dans un but compris et accepté. A mesure que le travail se diversifie, il faut mettre au point une technique assurant l’orientation de chaque individu vers l’emploi conditionné par ses chromosomes. Il ne suffit pas, en effet, d’apprendre aux hommes à travailler, ou de les convaincre de cette nécessité : une société aussi complexe que la nôtre doit aussi fournir des méthodes efficaces pour assurer un plein emploi. Nulle civilisation ne peut et n’a pu survivre au maintien prolongé d’un nombre quelconque de chômeurs.
l) – le consentement efficace et sage des cadres à coopérer à une civilisation dont ils acceptent d’être les promoteurs, non les rouages. L’un des plus grands obstacles à la société humaine, partie intégrante de la Vie, est le conflit entre les intérêts et l’accélération de collectivités humaines qui veulent disposer de leur héritage. L’exemple en est la querelle mortelle qui oppose les nations productrices de pétrole et les Etats qui ne veulent pas renoncer aux impôts abusifs dont ils frappent, chez eux, le même produit. Il leur suffirait de baisser un peu la taxe « colonialiste » qu’ils prélèvent pour donner aux possesseurs de leur seule richesse les moyens de s’élever à un niveau supérieur.
m) – le commandement. La base de son autorité. Les limites du pouvoir.
Une civilisation dépend, dans une très grande mesure, de l’état d’esprit consistant à en exécuter les œuvres avec un maximum d’enthousiasme et d’efficacité. « Il faut croire à ce qu’on fait, et le faire dans l’enthousiasme », avait donné comme devise Robert Garric à deux générations. Le travail des chefs – qui s’appelle aujourd’hui la Coopération – dépend socialement de la qualité des chefs. Jusqu’à ce que, dans la spirale évolutive, l’humanité ait atteint, par évolution, des niveaux plus élevés, la « Caravane Humaine » continuera à dépendre d’un commandement. La montée au point Omega postule une liaison entre la richesse matérielle, la grandeur intellectuelle, la valeur morale, l’habilité sociale et une certaine clairvoyance dans les impératifs cosmiques.
n) – l’évolution sociale. Le temps est essentiel à tous les types d’adaptations humaines : physiques, sociaux, économiques. Seuls les ajustements moraux et spirituels peuvent être effectués sous l’impulsion du moment, et même pour ceux-là il faut du temps pour mettre pleinement en œuvre leurs répercussions matérielles et sociales. Nul grand changement social ou économique ne devrait être essayé soudainement : seul l’Institut de la Vie, dans notre conception, peut prétendre à répartir le Temps.
o) – enfin, les mesures préventives contre les brusques déclins temporaires, c’est-à-dire, dans l’évolution de la Vie, « l’Assurance contre les pertes de bénéfices ». La société actuelle est issue de nombreux âges de tâtonnements. Elle représente, comme l’amibe, l’araignée, la fourmi…, ce qui a survécu aux ajustements et réajustements sélectifs dans les stades successifs de l’ascension millénaire des hommes dotés de psychisme depuis les niveaux animaux jusqu’au statut planétaire.
Le danger mortel – issu du libre arbitre psychique – est la menace de déclin conséquente à la transition entre les méthodes établies du passé et les procédés nouveaux, peut-être meilleurs, mais non éprouvés de l’avenir.
Conclusion
Je sens combien cette axiologie est confuse. Aux yeux du vrai homme de science que vous êtes, elle exhale un miasme polluant d’ »amateurisme ».
Je vous soumets néanmoins ces réflexions inspirées par les grands arbres défeuillés qui se préparent, de tous leurs bourgeons et en abandonnant leurs branches mortes, à revivre.
Je vous ai écrit cela après la séance passionnée d’un Conseil Municipal qui vient de tenir sa dernière séance, et dont la majorité de se représenter sur une même liste. Il s’est uni, réunissant toutes les tendances, toutes les origines, tous les engagements sociaux, toutes les idéologies, sur un désir profond, impératif :
« L’infrastructure d’une commune qui n’avait pas bougé, matériellement ni en environnement, depuis Jules César, est à peu près terminée. Sans ressources propres et sans impôts excessifs, elle s’est dotée, en vingt ans, d’eau courante, d’un éclairage moderne et permanent, de rues et d’accès goudronnés, de chemins vicinaux asphaltés et rénovés jusqu’à ses limites, d’écoles suffisantes et des moyens d’envoyer ses enfants grandissant au C.E.G. du chef-lieu de canton (trente enfants au C.E.G. cette année !). Elle a pu assurer régulièrement l’enlèvement et la destruction de ses ordures.
Maintenant nous allons nous consacrer à un certain art de vivre, à la joie des hommes : toutes pollutions effacées, plantations, places ornementées, trottoirs aux rues, fleurs devant les maisons. Et s’il le faut, nous n’hésiterons pas à accroître les ressources, c’est-à-dire à augmenter raisonnablement les centimes, afin que notre population soit « heureuse » de vivre dans le cadre de Bertangles, les jeunes aussi bien que leurs anciens. »
C’est le dernier mot, et ce doit rester la devise de l’Institut de la Vie :
« Que la Vie continue, harmonieusement, son développement sur toute la Terre, dans l’abolition des Peurs et des Menaces. »
Comme a écrit Paul Valéry : « Le vent se lève, il faut tenter de vivre. »
François de Clermont-Tonnerre
1 / 2 / 3 / 4 / 5 / page suivante