<%@LANGUAGE="JAVASCRIPT" CODEPAGE="CP_ACP"%> Maurice Marois
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Biographie

 

La mort au vingtième siècle lire en pdf

Mors et Vitae lire en pdf

«L'Institut de la VIe est un acte de psychologie totale. Face à l'ivresse sanglante où triomphe la mort, il organise un autre praroxysme, celui de la vie.» Maurice Marois

Thanatologie

Objet

Etudes sur la mort

Le vieillissement

Soins sans espoir

 

Objet de la société de Thanatologie

La mort est la certitude suprême de la Biologie.
La mort, en elle-même, a un caractère intemporel et métaphysique…mais elle laisse toujours un cadavre, bien actuel et réel…
Dans la Société humaine, la mort est, avant tout, un événement sociologique.

***

Jadis, d’illustres civilisations ont trouvé dans la mort, le fondement de leurs philosophies.
De nos jours, l’homme occidental éprouve une horreur instinctive de la mort. Il évite de l’envisager ; il se dérobe à son examen ; c’est, pour lui, un sujet « tabou ».
Pourtant, les problèmes soulevés par la mort, inéluctable, ne se bornent pas au conditionnement et à la ségrégation hygiénique des cadavres, c’est-à-dire à l’organisation de l’exclusion des morts du monde des vivants.
Ces problèmes concernent, surtout, la désorganisation provoquée par la mort chez les survivants désemparés. Ceux-ci, en effet, n’y sont généralement pas préparés, même à l’issue fatale d’une inexorable maladie.
C’est ainsi qu’au-delà de toute angoisse métaphysique, surmontable ou non, la mort présente un aspect terriblement agressif à l’égard des vivants affectés.
En tous temps et partout, les rites funéraires ont eu pour objet d’apaiser cette terreur, d’atténuer ces arrachements, de préparer les réorganisations indispensables.
Ces objectifs sont-ils encore atteints dans la complexité actuelle de l’écologie humaine de type occidental ? ou peut-on en douter ?
Dans ce domaine, comme en tous autres, doit s’appliquer, dorénavant, la rigueur compréhensive de la pensée scientifique, concertée et recyclée en cette fin du XXème siècle.

***

La Société de Thanatologie se propose d’être un centre de synthèse et de diffusion des connaissances théoriques et appliquées relatives aux problèmes thanalogiques dans leurs aspects physico-chimiques, somatiques, écologiques, sociologiques, psychologiques, moraux et juridiques.

Paris, Juin 1969

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ETUDES SUR LA MORT

BULLETIN DE LA SOCIETE DE THANATOLOGIE N°34-ANNEE 1976 - 10ème ANNIVERSAIRE

Discours de Maurice MAROIS, Président de la Société de Thanatologie

Un anniversaire est une halte, un temps de pause propice au retour sur soi, une célébration, et une invitation à projeter vers l’avenir. Brusquement, le présent devient plus dense, le temps prend son épaisseur : il n’est plus l’instant fugitif insaisissable entre le passé et le futur, mais un moment privilégié gonflé des événements dont il est l’héritier et des aspirations dont il est la promesse.
L’anniversaire de notre Société répond à cette règle humaine. Il est le rendez-vous de la mémoire et de l’espoir.

La mémoire : qu’hommage soit rendu aux Fondateurs qui nous ont quittés et dont la pensée nous inspire. Au premier rang d’entre eux, le Médecin Général Debénédetti. Nous percevons doublement sa présence parmi nous : présence morale, il a donné à notre Société un horizon, une philosophie, une impulsion, présence vivante qu’incarne dans la discrétion, l’élégance et la fidélité Madame la Générale Debénédetti.

Hommage à la mémoire de notre Président d’Honneur René Cassin, Prix Nobel de la Paix, homme de lumière et de courage, de rectitude et d’idéal.

Je ne suis qu’un continuateur. J’essaie pendant le temps où le flambeau est confié à mes mains, de ne pas  le laisser s’éteindre, mais, avec d’autres, d’alimenter une flamme qui projette sa lueur dans la nuit de notre destin. Je n’ai aucun mérite, car vous, les hommes et les femmes du premier jour de notre association qui êtes ici rassemblés, vous les seuls fondateurs unis comme au premier matin, fervents comme au premier matin, vous ne cessez de nourrir la vie de notre groupe par votre enthousiasme, votre science et votre sagesse.

Chacun connaît ici le rôle joué par André Chatillon. Cher André Chatillon, vous avez la foi des fondateurs d’ordres qui s’alimente à la source secrète de votre vie intérieure, vous avez l’énergie des bâtisseurs, vous aimez les humains dans leur misère et dans leur grandeur, vous avez le sens de l’avenir et le sens des institutions. Vous avez pressenti les temps qui viennent où la mort, donnée permanente de la condition des vivants, occupera dans la pensée des hommes une place à sa mesure. Vous avez voulu une structure d’accueil qui atteindra par étapes la dimension mondiale. Sa vocation à l’universalité s’illustre par l’ouverture à tous les courants de  pensée traditionnels ou novateurs, à toutes les disciplines, à tout l’homme et à tous les hommes.

Je n’ai pas à retracer l’itinéraire de notre Société. Par ses concertations dans son Conseil d’Administration, par ses conférences, ses congrès, ses publications, elle prend d’année en année possession de son immense domaine.

Les fondateurs peuvent considérer avec satisfaction l’œuvre accomplie. Vous avez été des pionniers et des défricheurs. Aujourd’hui, le thème de la mort est présent partout et son irruption apparaît comme un fait de civilisation.

Mais nous ne sommes pas au bout du chemin.

Nous aurons à exercer une fonction sociale pour faire prendre conscience à la société des conditions qui précèdent et accompagnent la mort, car il s’agit pour nous de diminuer le poids de la souffrance. Nous l’avons fait en analysant les circonstances du suicide, en traitant le thème de la famille et de la mort, en dénonçant la solitude du vieillard, en proposant d’humaniser davantage l’hôpital afin de créer un espace fraternel,  en éclairant le rôle du médecin dans son dialogue avec le malade, « conscience allant au-devant d’une confiance », en explorant les ressources des spiritualités dans l’ultime moment. Nous devrons étendre notre analyse à tous les événements de la vie sociale qui sont signes ou porteurs de mort.

Il nous faudra encore l’esprit pionnier pour diffuser dans le monde le bienfait de notre attitude devant la mort. Attitude adulte de lucidité, de santé, de sérénité. Il s’agit, en désoccultant la mort dan certaines sociétés, en épanouissant la vie dans d’autres sociétés, d’ériger l’homme dans sa pleine dimension de vivant et de mortel. Il s’agit de réconcilier l’homme avec son destin qui n’a pas seulement une dimension tragique, de le réconcilier avec lui-même, avec les autres vivants, avec l’univers et avec le bonheur. La conférence mondiale que nous devons préparer, sera la première étape de cette action universelle.

Ce combat social, cette diffusion mondiale n’auront quelque chance de succès qu’au prix d’une profonde réflexion philosophique. Nous aurons certainement à mener une action philosophique pour situer à leur juste place les explications parcellaires et passionnées de la contre culture et pour échapper au vertige des prophètes du néant. André Malraux lui-même qui accède désormais aux certitudes immobiles de la mort, n’a pas entièrement cédé à la fascination du néant. Il n’est pas inopportun de citer ici quelques réactions suscitées par sa disparition du monde des vivants. Pour Thierry Maulnier, « Ce que Malraux exprime de plus profond, c’est la situation de l’homme dans l’univers, sa situation pascalienne face à l’énigme de toute existence, au néant dont nous sommes environnés par l’espace et par le temps, la certitude de mourir ». Malraux a-t-il privilégié le néant ? C’est le sentiment de Bertrand Poirot Delpech qui écrit : « L’home qui disparaît et l’œuvre qu’il laisse, sont parmi les plus représentatifs de leur pays et de leur temps, les plus exemplaires de notre civilisation en ruine. En eux pourra se lire toute l’aventure de ce siècle pantelant que la mort de dieu et l’échec moral des sciences ont obligé à fonder la grandeur de l’homme sur le néant qui l’écrase » ; Cette attention au néant est trop désespérée pour Philippe Tesson qui affirme : « Malraux s’est trompé de monde. Il a pris pour loi sa propre folie et la folie d’un moment de l’histoire, négligent par là même toutes les possibilités de rachat de l’homme, toutes les richesses irréductibles de l’esprit humain. Pourtant il n’est pas mort trop tôt pour ne pas avoir entendu le murmure de cette vague régénératrice qui s’annonce partout dans le monde ».

Mais le désespoir n’est pas le dernier mot de l’auteur de l’Espoir. Et je partage l’analyse de Dominique Jamet admirant la « vision romantique et tragique, d’un homme qui a vécu et compris plus profondément qu’aucun notre vingtième siècle baroque et inhumain, qui a su transformer son expérience en conscience et donner une forme aux mille efforts de l’homme pour dépasser sa finitude et ses contradictions ».

« Je me révolte contre la mort et ma révolte même est sans avenir » s’écrie Jacques Leclercq. Que cette attitude soit ou non sans avenir, il est sûr pourtant qu’André Malraux ne consentait pas au néant. Et j’en veux pour preuve ce texte, l’un des plus significatifs qu’il ait écrit sur son propre tourment : « Le plus grand mystère n’est pas que nous soyons jetés au hasard entre la profusion de la vie et celle des astres ; c’est que, dans ce que Pascal appelle notre prison, nous tirions de nous-mêmes des images assez puissantes pour nier notre néant ».
Il n’a pas été donné à André Malraux la grâce incantatoire d’un Jacques Leclercq : « Je marche sur la poussière de la terre des pas d’éternité et ma vie c’est dès aujourd’hui le bonheur d’exister dans cette lumière. Et les plus humbles joies et les plus dures contraintes où tout au long des jours se dilate le pouvoir d’aimer, se façonne la liberté, s’épanouit l’intelligence, tout prend son sens dans cette tension vers le plus être jusqu’à la plénitude ».

En ce 28 novembre 1976, il n’était pas inutile je crois, de citer longuement quelques uns de nos contemporains, leur méditation actuelle rejoint l’interrogation permanente des hommes depuis qu’ils ont accédé à la conscience. Ces méditations, cette interrogation éclairent notre propos. Elles nous accompagneront jusqu’au soir de notre journée terrestre.

« Quand lâchera le fil d’argent, quand se cassera la jarre à la fontaine, quand la poulie, au puits, se rompra », « quand nous serons plus loin que la dernière lande », puisse-t-il rester sur cette terre, de notre passage si bref, si bref, la geste de notre Société de Thanatologie qui aura osé, au nom de l’homme total, regarder la mort en face pour proclamer la vie.

Maurice Marois

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Le vieillissement 

Par Maurice MAROIS,
Extrait d’interview à la Radio Suisse romande – 1980

La vieillesse est un destin et quand elle se saisit de notre propre vie, elle nous laisse stupéfait. Que s’est-il donc passé ? La vie.
« Et je suis vieux ! » s’écrie le poète Aragon, et c’est avec des adolescents qui durent un assez grand nombre d’années que la vie fait des vieillards, selon la formule de Marcel Proust.
La vieillesse modifie notre rapport avec nous-mêmes, avec le temps, avec la société, avec l’univers, toute méditation sur le grand âge devient un chant sur la condition humaine.
Le désengagement social fait naître le sentiment d’inutilité et d’ennui. Dans le mouvement  du monde, le vieil homme immobile est en retard sur son temps, comment s’adapter à la rapide évolution des connaissances des sociétés et des mœurs ?  Témoin d’un passé dépassé, porteurs de connaissances hélas trop souvent périmées, le vieillard se sent disqualifié, privé de prise sur le monde, condamné à la survie brute, il est la proie de l’ennui. A-t-il misé son tout sûrs son travail, la retraite guillotine équivaut à une mise au rebut, ainsi la vieillesse peut-elle devenir le temps de l’ennui, serait-elle aussi le temps de l’émoussement des sentiments, de l’indifférence, de la passion abolie de mon âme ? Ce feu de mon corps, la vie, s’en serait-il allé ? Ne serais-je plus que le monument de moi-même ?
« Si près de la fin, la vie n’a plus d’importance, on l’accueille sans passion ni intérêt, ni hâte, comme on danse les valses lentes », s’écrie Marcel Jouhandeau, et la ferveur éteinte est trop souvent la compagne du désert affectif et de l’affreuse solitude.
Dans ce tableau sans complaisance, la vieillesse apparaît comme le déclin ou le reflux, l’isolement progressif ou la rupture un à un des liens jusqu’à l’ultime détachement, le face à face avec soi-même jusqu’à l’ultime solitude.
La pénurie de la vieillesse s’accompagne de l’injure matérielle, le poids que le non actif improductif fait peser sur l’actif transforme le vieillard en homme fardeau, sa faiblesse économique, son indigence, en font les recrues de la misère.
Devons-nous juger une société d’après le sort qu’elle réserve au troisième âge ? La condition sociale du troisième âge reflète-t-elle l’idée de l’homme que se fait le groupe humain auquel il appartient ? Lorsqu’un vieillard connaît l’exil, il y a fort à parier qu’il était en exil de lui-même dans sa jeunesse et sa maturité, et voici que de proche en proche, le champ de vision s’étend à tous les âges de la vie, à tous les aspects de la vie collective.
Au terme de cette analyse d’une lucidité triste, je ne me résigne pas, il me reste à tenter d’assumer tous les aspects de ma condition et d’oser vouloir reculer les bornes de l’inéluctable, enfin dans le bref instant d’une vie, d’aménager cette vie pour lui donner un sens, le sens ne peut être que l’épanouissement de toutes les potentialités que nous portons en nous. Pour cet épanouissement, il faut une libération des contraintes sociales, une satisfaction  des besoins, une prise en compte des données biologiques pour une meilleure économie de notre organisme.
Une politique du troisième âge devrait tenter de pallier le déclin physique par la prévention de l’hygiène, d’échapper à l’indigence par une juste répartition entre les classes d’âge des moyens matériels ; de rompre la solitude en renouvelant la conception de l’habitat, en innovant dans l’ordre des échanges sociaux. Dans la dialectique de l’homme et de la société,  il faut rendre la société plus humaine et renforcer l’homme dans la vérité de son être. La condition psychologique et morale du troisième âge est le reflet de la vie intérieure qui a nourri au long d’une vie les réflexions intimes d’un être. La préparation à la retraite ne se fait pas un an avant l’échéance, chacun vit sa vieillesse quand il a vécu le reste de sa vie. Le rôle d’une certaine civilisation est, au nom d’une certaine image de l’homme, de hiérarchiser les valeurs, les intégrer dans la vie.  C’est le sens que les hommes accordent à leur existence, c’est leur système global de valeurs qui définissent le sens et la valeur de la vieillesse. Face au courant productiviste qui tente de rejeter les bouches inutiles, voici celui de la participation pour une meilleure qualité de la vie du troisième et du quatrième âge.

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Soins sans espoir 

Par Maurice Marois
Professeur à la Faculté de Médecine de Paris,
Président de l’Institut de la Vie, Président de la Société de Thanatologie.

La question posée, « Les soins sans espoir » est sans doute la plus grave qui soit. Elle peut être le sujet d’une méditation à trois voix : celle du médecin, celle du mourant et celle de la société.

Le médecin :

Sur le médecin, tout a été dit.
Les réquisitoires sont violents. Les médecins sont soupçonnés dans leur acharnement thérapeutique d’osciller entre le paternalisme tranchant et la technologie glacée, de céder au goût sportif de la performance et de la prouesse, et plus gravement de vouloir combattre leur propre angoisse puis, devant l’échec inéluctable, de se muer en sacrificateurs en infligeant la mort par l’euthanasie, signe de la suprême impuissance.
Cette caricature force les traits, je voudrais lui opposer certaines formules de grands médecins. « C’est le respect du mourant qu’on doit attendre du médecin et non qu’il achève l’incurable ou le désespéré », affirme le Conseil de l’Ordre qui récuse l’euthanasie car, écrit-il, « donner la mort par pitié, avec le moins possible de souffrance, c’est délibérément donner le coup de grâce comme on fait à une bête qui souffre, ou comme on a parfois vu sur les champs de bataille achever un blessé que l’on ne pouvait secourir. La médecine ne se reconnaît pas ce pouvoir. Le médecin est certes amené quelquefois à prendre des risques pour ses malades, il y a des interventions, des thérapeutiques, ou des abstentions, qui comportent un danger. Mais jamais le médecin ne décrète la mort, jamais il ne supprime intentionnellement la vie ; tout ce qu’il tente est contre la mort. »
Et le Conseil de l’Ordre poursuit : « En vérité le médecin, qui respecte la vie fondamentalement, respecte aussi la mort. Il doit chercher, comme le disait Pierre Mauriac, à ce que l’incurable meure en paix. Nous avons assez de drogues pour que la douleur et l’angoisse soient efficacement combattues ; et quand tout a été tenté pour guérir et que la partie est perdue, le médecin doit se sentir responsable encore de l’agonie. C’est le respect du mourant, et cette thérapeutique de l’agonie qu’on doit attendre du médecin.
Ainsi se termine la citation sur la prise de position du Conseil de l’Ordre : administrer la mort, non, assister l’agonie, oui.
La relation médecin malade a été définie comme une conscience allant au devant d’une confiance. Et le Professeur LAUGIER propose d’intégrer la question de la mort dans la relation thérapeutique. Le Professeur KOUPERNICK écrit que « le message de mort resserre les liens comme le fait le message d’Amour ».

Le mourant :

Il faut maintenant capter le message du mourant.
Madame KUBLER-ROSS a décrit les cinq phases de l’agonie : la négation, la colère, le marchandage, la dépression et l’acceptation.
C’est un art que de mourir.
Il va à l’encontre d’une certaine tendance de nos sociétés de vouloir occulter la mort comme s’il s’agissait d’une affection momentanément irréversible, de vouloir conjurer ce qu’elle estime être le tragique, et finalement de voler à l’homme sa propre mort.
Ah ! comme il faudrait savoir, en adulte, assumer sa mort !
« Et je ferai la mort comme je fais l’amour, les yeux ouverts », chante le poète Aragon. « Seigneur, donne à chacun sa propre mort née de sa propre vie », implore le poète Rilke. « Ma mort m’appartient, dit E. Mounier. Elle transforme ma vie en destin. Elle est un acte. » La mort acceptée, assumée, donne à la vie son relief et son sens. « La mort est constamment là, comme ce petit piment qu’on appelle au Mexique l chili et que moi, je mange cru sans broncher. La mort est le piment de la vie », écrit Max Pol Fouchet.
« Si je ne devais jamais mourir, affirme Garaudy, il n’y aurait rien que je puisse préférer à ma vie individuelle. Il n’y aurait pas d’amour, d’amour tel que je puisse préférer l’autre à ma propre vie. Il y a un don suprême que je ne pourrais pas faire, celui de ma vie. »
Et Jankélévitch affirme : « La mort instaure la liberté ».
Aimer sa mort ? « Je possède le bonheur parce que je suis décidé à tout aimer, même la mort » s’écrie A. Rubinstein.
« Ô mort si douce, ô seul matin ! » s’exclame Bernanos.
Voici la lettre d’un malade à son infirmière : « De quoi avez-vous peur ? C’est moi qui meurs. Ne vous sauvez pas. Patientez. Tout ce que j’ai besoin de savoir, c’est qu’il y aura quelqu’un pour me tenir la main quand j’en aurai besoin. J’ai peur. Peut-être êtes-vous blasée sur la mort : pour moi, c’est nouveau. Mourir, ça ne m’est encore jamais arrivé. »

La société :

Alors voici que se pose le troisième problème, celui de l’attitude de la société.
Doit-on considérer avec certains que la médicalisation de la mort la soustrait à l’environnement humain ? Il faut revendiquer un espace humain pour mourir, appeler une présence fraternelle, un amour jusqu’au bout.
Au-delà de l’environnement immédiat, il n’est pas indifférent de poser les problèmes économiques des soins sans espoir. Car les problèmes économiques se posent inéluctablement et l’on voit monter certains périls. Je voudrais rappeler quelques faits fournis par l’observation de la société américaine.
« Il y a aux États-Unis plus de vingt millions de personnes ayant soixante-cinq ans et plus, soit 10% de la population. Ce pourcentage atteindra vraisemblablement 15% à la fin du siècle. Parce qu’ils augmenteront le nombre des improductifs, parce qu’ils feront peser de lourdes charges sur la société (une journée de « traitement intensif » à l’hôpital revient actuellement à cinq cents dollars), la mort des vieillards risque alors, selon certains sociologues, d’être déterminée par des influences malthusiennes autant que par le désir de soulager la souffrance. Un sociologue déclare crûment : « La fin de la vie ne sera pas laissée indéfiniment à des causes naturelles ». Il est déjà significatif que les partisans de l’euthanasie sont les plus nombreux en Californie et que les tentatives pour légaliser l’euthanasie sont les plus persévérantes en Floride – les deux états où la densité des vieillards est la plus forte aux États-Unis.
Au bout d’une certaine logique économique, surgit l’euthanasie d’État dénoncée par le Professeur Léon Michaux. « Il y a une euthanasie d’État qui constitue une monstrueuse sélection : manière de conseil de révision à rebours désignant non ceux qui sont aptes à défendre le pays, mais les inutilisables constituant pour la société un fardeau onéreux, à supprimer. Il est d’autant plus aisé de juger cette euthanasie institutionnelle qu’un passé récent en a multiplié les horreurs. »
Ce péril collectif est un péril global. Mais l’effroi qu’il provoque en nous ne saurait dicter une attitude absolutiste invitant à un acharnement thérapeutique inconditionnel qu’évoquait en termes émouvants le Professeur Huault.
Ayant ainsi tenté de définir quelques-uns des thèmes si nombreux issus du thème central « Soins sans espoir », j’ai conscience de n’avoir rien dit. Et j’éprouve un sentiment de dénuement en même temps que de respect, presque de pudeur, comme si seul le silence devait être la réponse : ce silence dans lequel s’affirment la conscience du médecin et la dignité du mourant. Je rejoins la pensée de Michel Tournier, « La vie n’est pas un monument de lumière et de rationalité. Il y a des zones d’ombres. Il y a des fondrières. Il y a des épaisseurs concrètes insondables. Plus encore que toute autre discipline, la médecine déborde l’enseignement livresque. L’euthanasie relève pleinement de cette partie non écrite de la pratique médicale. Il serait fou et dangereux de vouloir la codifier. Elle a droit à un silence sacré. »
Dirai-je que toute méditation sur la mort est une méditation sur la vie, sur le temps, sur l’homme, sur la société, sur l’histoire, sur la civilisation, sur la souffrance, sur l’échec, sur l’espérance, sur la fin et sur les fins ? Elle est une recherche du sens. En nous révélant la détresse du périssable, elle nous invite à la quête du permanent. La mort nous contraint à prendre des distances. Elle situe le temps de notre courte vie – « Cet éclair entre deux éternité de mort », selon la formule de Poincaré – par rapport à l’infini du temps, à l’éternité. Elle situe notre corps mortel dans l’universel devenir de la matière, dans l’incessant échange des atomes qui nous composent. Elle situe notre conscience – une brève étincelle inexplicable de lucidité -  dans un univers sans lumière. « Ce qui est le plus incompréhensible dans le monde, est que le mondé nous soit compréhensible » disait Einstein. Elle situe notre souffrance, mais elle situe aussi notre espérance. L’attitude d’Einstein est proche de celle d’André Malraux qui ne consentait pas au néant. Et j’en veux pour preuve ce texte : « Le plus grand mystère n’est pas que nous soyons jetés au hasard entre la profusion de la vie et celle des astres, c’est que, dans ce que Pascal appelle notre prison, nous tirions de nous-mêmes des images assez puissantes pour nier notre néant. »
Il n’a pas été donné à Malraux la grâce incantatoire d’un Jacques Leclercq : « je marche sur la poussière de la terre des pas d’éternité et ma vie, c’est dès aujourd’hui le bonheur d’exister dans cette lumière. Et les plus humbles joies et les plus dures contraintes où tout au long des jours se dilate le pouvoir d’aimer, se façonne la liberté, s’épanouit l’intelligence, tout prend son sens dans cette tension vers le plus être jusqu’à la plénitude. »
Cette méditation de deux de nos contemporains rejoint l’interrogation permanente des hommes depuis qu’ils ont accédé à la conscience. Ces méditations, cette interrogation, éclairent notre propos. Elles nous accompgneront jusqu’au soir de notre journée terrestre.
« Quand lâchera le fil d’argent, quand se cassera la jarre à la fontaine, quand la poulie, au puits, se rompra », « quand je serai plus loin que la dernière lande », je voudrais savoir regarder la mort en face et proclamer la vie.

 

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