l'Institut de la Vie - Présentation

Réactions et points de vue, rapportés par Maurice Marois

  1. Réactions des spiritualités
  2. Réactions des incroyants
    1. la philosophie matérialiste
    2. milieux enseignants et laïques
  1. Réaction des économistes et des milieux patronaux
  2. Réactions du Tiers-Monde et des Pays de l'Est
    1. Tiers-Monde
    2. Hommes de l'Est
  1. Points de vue des Syndicalistes ouvriers
  2. Point de vue d'un philosophe : Martin Buber
  3. Point de vue du savant

1. Réactions des spiritualités

L'Institut de la Vie a suscité immédiatement un attentif intérêt auprès de toutes les spiritualités.

Les débats entre science et religions furent souvent difficiles. Mais les oppositions ne devaient pas apparaître comme fondamentales. Les observations du savant le conduisent à émettre des hypothèses pour compléter sa vision de l'univers dont il explore les lois. Cette vision est de nature contemplative. Ses hypothèses le conduisent à l'action, c'est-à-dire à entreprendre des expériences vérificatrices. Cette attitude, cette exploration d'un univers qui se révèle plus grand, plus beau, plus riche, plus complexe que les plus somptueux des rêves ne peut pas laisser indifférent l'homme de science. Mais si sa règle d'action reste la froide raison, guidée par une implacable logique, l'ascèse de l'homme de science ne peut pas dépouiller totalement l'homme. L'admiration, le respect, l'amour jaillissent au cœur des plus généreux, des plus lucides et des plus complets des scientifiques.

Dans l'Institut de la Vie, les hommes de science ont une logique de valeurs : respect, responsabilités.
La nécessité d'une telle logique s'impose comme inéluctable dans l'esprit des savants à cause des dimensions nouvelles de la science c'est-à-dire du pouvoir sans mesure qu'elle donne à l'homme.
Ce langage de modestie est neuf, si on l'oppose à l'ivresse primaire des scientistes du XIXè siècle, de Marcellin Berthelot et de la frange des philosophes qui l'ont suivi. Une nouvelle ivresse primaire menace aujourd'hui non plus quelques philosophes abusés mais de grandes masses humaines : lorsque Gagarine dans son spoutnik proclame : je suis dans le ciel et je n'ai pas rencontré Dieu, c'est un mauvais usage d'une prouesse technique. Elle réserve à ceux qui y céderont des réveils de désespoir.

Peut-être la biologie a-t-elle parmi les sciences et parmi les hommes une mission providentielle. S'il est vrai que la création clame la gloire de Dieu, elle la clame d'autant plus profondément par sa forme achevée qu'est le protoplasme humain. S'il est vrai que la vie est une prise de possession de la matière par l'esprit, peut-être les biologistes, à cause de leur objet d'étude, permettront-ils à la science, et au-delà d'elle aux hommes, de retrouver le chemin de l'esprit.

L'expérience des hommes qui ont animé jusqu'ici l'Institut de la Vie est riche d'enseignements. Car le thème de la vie, proposé par des hommes objectifs, sincères et de disponibilité d'esprit que la grâce, chez certains, transforme en universelle charité, suscite chez tous ceux qui le rencontrent des réactions d'une bouleversante spontanéité. Une fibre profonde est touchée, même chez les plus secrets des êtres, qui livrent alors leur credo ou leur désespoir.

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2. Réactions des incroyants
  1. Ceux qui avec courage, et une grande honnêteté intellectuelle, poussent jusqu'au bout de sa logique la philosophie matérialiste tiennent le langage suivant (Ex. de M Debiesse, Physicien, Directeur du Centre Atomique de Saclay) :
    Propos tenus en juillet 1962, au Capitole de Toulouse, lorsqu'il présida la conférence de M. Marois, devant le Congrès de la MGEN :
    "Je ne suis pas de ceux qui font de l'homme le centre de l'univers. Je ne suis pas de ceux qui ne se consoleraient pas de la disparition de l'homme. Car l'homme n'est que matière. Et la matière subsistera quelle que soit sa forme d'organisation. Si demain une fourmi à grosse tête apparaît comme une forme de matière vivante d'une organisation supérieure à celle de la matière humaine, je céderai sans inquiétude philosophique ma place à la fourmi."
  2. Milieux enseignants et laïques.
    L'étude précédente, qui dans sa logique suprême aboutit à l'indifférence au maintien de l'homme et à la poursuite de l'aventure scientifique sans contrôle jusqu'à sa conséquence possible de destruction de l'humanité a plongé dans le désarroi les milieux de l'enseignement public français.
    Et l'adhésion à l'Institut de la Vie a revêtu un caractère d'autant plus fondamental. Car les milieux enseignants incroyants ont tout de même le sens du service de l'homme. Pour eux, pendant longtemps, le credo fut : plus de science = plus de progrès humains. Mais voici que cette question est remise en cause, car, pour l'instituteur, la science n'apporte pas seulement la pénicilline, elle apporte la bombe atomique et la thalidomide. Or, les hommes de science que l'Institut de la Vie rassemble sortent de leurs laboratoires pour s'identifier à l'image de progrès que ces milieux se faisaient traditionnellement de la science.

    Et la conclusion de Denis Forestier, par exemple, est particulièrement significative : "De tout notre vouloir, nous soutenons l'Institut de la Vie."

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3. Réactions des économistes et des milieux patronaux (grande industrie)
  1. Propos de M. Demonque, Président-Directeur général des Ciments Lafarge :
    "La société productiviste est-elle une civilisation ?" (Cf. Documents pour l'Histoire, tome IV, p380)
    Plus de biens matériels signifie-t-il plus de bonheur ? La question se pose. La réponse est douteuse.
    Les sociétés capitalistes de l'Occident traversent une crise grave. Par exemple, le budget de publicité des Etats-Unis est égal au revenu national français. Or, ce budget a pour objet de créer artificiellement des besoins pour soutenir la machine industrielle et mécanique. Dans cinquante ans, l'Europe occidentale et peut-être orientale se trouvera dans la même situation. L'analyse de ce phénomène permet d'en résumer d'une phrase la cause : jusqu'ici l'industrie avait fait servir la science aux applications techniques pour la production de biens matériels. Cette production apparaissait indispensable pour satisfaire légitimement les besoins élémentaires des hommes de l'Occident.
    La situation actuelle oblige à une révision déchirante de cette politique. L'Institut de la Vie, en proposant à l'économie des objectifs de vie, apporte la solution de rechange à la crise occidentale et orientale des sociétés productivistes du XXè siècle. Ces objectifs devront être définis. Mais il est sûr que leur réalisation alimentera puissamment les machines industrielles.
  2. Réactions des représentants du libéralisme et du néoréalisme économique "
    Le tableau de la vie, brossé par les biologistes de l'Institut de la Vie, apporte au libéralisme et au néoréalisme économique un modèle car la vie offre le spectacle de la plasticité et de l'équilibre dynamique.
  3. Réaction des dirigistes :
    Le tableau du dirigisme brossé par les biologistes de l'Institut de la Vie apporte au dirigisme économique des idées car la vie offre le spectacle de l'intégration à des niveaux différents d'organisation.

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4. Réactions du Tiers-Monde et des Pays de l'Est

Les rencontres universitaires internationales se sont déroulées à Angers en 1962, avec la participation de quarante nations. Le Tiers-Monde (Afrique, Europe Orientale, Amérique du Sud) les Pays de l'Est (Russie soviétique, Pologne, Tchécoslovaquie, Bulgarie, etc.) l'Europe et l'Amérique étaient présentes. L'affrontement entre l'Institut de la Vie et les pays de l'Est est apparu pour les animateurs de l'Institut de la Vie comme une sorte de répétition générale de l'aventure universelle que l'Institut de la Vie doit vivre. Les résultats de cet affrontement ont révélé la puissance des idées qui sont en marche sous l'impulsion de l'Institut de la Vie.
Les Soviétiques étaient venus, les valises pleines de documents de propagande adaptés à chaque nation et à chaque interlocuteur, à chaque problème. Les hommes de l'Institut de la Vie étaient venus les mains nues. A la fin d'une semaine de débats, la situation se résumait ainsi :

  1. Point de vue des Pays du Tiers-Monde :
    Le représentant gabonais est venu dire :
    Nous, de l'ensemble des hommes du Tiers-Monde ici présents, nous disons aux hommes de l'Ouest et de l'Est, vous êtes la minorité, mais vous êtes la puissance. Nous constituons avec nos deux milliards d'hommes la majorité de l'humanité. Nous sommes faibles, mais curieusement nous sommes entre vous un enjeu. Les hommes de l'Est viennent à nous en nous disant : Nous sommes la science et nous vous apportons l'organisation scientifique des sociétés. Nous vous apportons les biens matériels.
    L'Institut de la Vie vient à nous en nous disant : nous sommes la science, mais nous sommes respectueux de la vie.
    Nous n'avons pas une conception univoque, totalitaire, donc mutilante de l'homme. Nous respectons la nature humaine dans sa diversité, sa complexité, sa richesse.
    Nous, du Tiers-Monde, c'est à cette conception de la science que nous donnons notre adhésion.

    Le Professeur Poirier qui participait au nom de l'Institut de la Vie à ces débats apporte le témoignage suivant, qui confirme le point de vue du représentant gabonais :
    "Avouerai-je que j'ai été récemment surpris, et presque déconcerté, à l'occasion d'une réunion internationale de jeunes, de voir quel zèle ce thème de la défense et du développement de la vie avait suscité chez de jeunes intellectuels de tous les pays et notamment de ce que l'on appelle aujourd'hui assez souvent "Le Tiers-Monde" ? Ils s'en sont emparés comme d'une espèce de drapeau, pour en couvrir une spiritualité encore mal définie, mais fervente, qui cherche à se formuler d'une manière originale en s'opposant à la fois à la dogmatique matérialiste et à la décevante orthodoxie communiste, et aux divers spiritualismes ou aux diverses religions liés à la tradition européenne. Le thème de la vie leur semblait avoir quelque chose de plus universel, où chaque peuple peut apporter, à droit égal, sa contribution, quelque chose aussi de plus directement lié au progrès de la science."

  2. Réaction des hommes de l'Est :
    Le représentant de la Tchécoslovaquie est venu dire aux responsables de l'Institut de la Vie :
    "Nous sommes isolés et nous avons perdu. La preuve est faite que les idées défendues par l'Institut de la Vie réussiront. Elles ont une énorme importance politique. C'est à ce titre qu'elles nous intéressent. Comme l'Institution se développera, nous souhaitons qu'elle se développe avec nous. Car si elle grandit sans nous, elle se fera contre nous, à cause de la logique inéluctable des mouvements dont nous sommes absents. Nous vous demandons donc d'être présents à votre effort et vous ne pouvez pas refuser."
    La réponse fut :
    "Nous pouvons refuser car le problème essentiel est celui de l'articulation de la science et de la liberté : qu'allons-nous faire avec notre liberté du pouvoir que la science nous donne ? Ainsi seuls des hommes totalement libres peuvent apporter une réponse à la mesure des responsabilités que nous voulons assumer."
    "Au niveau des comités centraux auxquels j'appartiens, nous sommes libres" dit le Tchèque. "Nous nous proposons d'étudier avec vous, dans un congrès mondial, votre propre thème : Science et Conscience."
    Les responsables de l'Institut de la Vie ont dit : "L'idée d'une coopération ne nous séduit guère car elle sera à sens unique. Vous vous servirez de nos assemblées comme de tribunes pour lancer vos idées-force. Vous arriverez invulnérables, armés de pied en cap, et vous repartirez comme vous êtes venus, sans qu'aucun dialogue n'ait pu s'établir."
    Réponse : "Nous n'aurons aucune volonté d'annexion. Afin de vous démontrer notre sincérité, nous vous proposons qu'un congrès soit organisé sur la base d'un concours universel, où tous les rapports sur le thème de "Science et Conscience" seront présentés, quelles que soient les idées que ces rapports défendront."

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5. Points de vue des Syndicalistes ouvriers

Le problème posé par la science est un problème de liberté. Le drame du monde est que la science sécrète la puissance et que la puissance asservit la science. La liberté est essentielle à la création scientifique. Le libre examen, la liberté d'accès à quelque domaine que ce soit est la règle d'or de la science. La science sort d'un combat difficile avec les religions qui imposent des restrictions aux démarches de l'esprit. Ce combat est aujourd'hui gagné. Mais il apparaît que de nouvelles menaces pèsent sur la liberté de la science. Le pouvoir temporel que la science donne aux hommes est annexé par la volonté de puissance politique des nations, ou la volonté de puissance des grands groupes industriels. Les limitations de la liberté se traduisent par :

  1. Les thèmes de recherches appliquées, donc à court terme, imposés aux hommes de science dans les laboratoires industriels ou dans les laboratoires de l'armée ou des centres atomiques.
  2. La politique du secret, c'est-à-dire l'interdiction de publier les résultats de certaines recherches qui pourraient accroître la puissance militaire ou économique d'un groupe. Or, la démarche fondamentale de la science est la liberté, et le service de l'homme. Pas de création sans liberté. Une communauté universelle des savants existe déjà. Les signes tangibles de cette communauté apparaissent dans les grandes manifestations collectives, tels les congrès scientifiques mondiaux. Ils apparaissent aussi dans le dialogue universel qui se poursuit par le truchement des académies et des revues scientifiques. L'objectif commun est l'exploration du réel et la recherche de la vérité. La règle commune est une logique cartésienne. La communication s'établit non seulement à cause de l'identité, de la démarche et de l'attitude d'esprit. Elle se fait aussi autour des vérités scientifiques, sur lesquelles se rassemble le consensus universel. La politique du secret, la mise au service d'un groupe particulier d'hommes soucieux d'établir ou de développer leur puissance, faussent radicalement la règle du jeu de la science créatrice.

Aussi, les syndicats ouvriers qui représentent la multitude des hommes désirent aider les hommes de science à maintenir leur liberté contre les menaces nouvelles qui pèsent sur la connaissance. Le point de vue des Syndicats, soucieux de liberté, de défense de l'homme, rejoint celui de Martin Buber.

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Martin Buber
6. Point de vue d'un philosophe : Martin Buber

Qui, devant le programme de l'Institut de la Vie, eut la réaction suivante : seul compte le réveil des savants.

Au cours d'une conversation privée, Martin Buber a réagi en ces termes devant les idées de l'Institut de la Vie :
"J'ai 84 ans, il m'arrive quelque fois d'être inquiet. Il m'arrive de m'éveiller la nuit en pensant à ce qui se prépare en Russie Soviétique, aux Etats-Unis, et demain en Chine. Le drame de la condition de l'homme c'est que quelque mouvement involontaire ou volontaire peut décider du sort de la civilisation. Dans cette situation instable, à quoi peut s'attacher l'esprit humain ? Je n'ai pas cette quiétude du cœur qui me ferait dire : dans dix ans, lorsque les hommes auront entrepris telle action, le monde ira mieux. Je ne me sens pas le droit d'être optimiste. Je n'ose pas non plus être pessimiste. L'offre de l'Institut de la Vie s'inscrit dans le tempo de Dieu. Mais il faut savoir qu'il y a le tempo de Dieu et le tempo historique. Le tempo historique est le succès d'ici-bas. Le tempo de Dieu en apparence n'a pas de succès. Telle la semence qui dans la terre doit se décomposer pour que pousse la plante nouvelle. Discerner dans ce tempo de la science, quels sont les intérêts contradictoires, entre les camps antagonistes, mettre en lumière les intérêts communs, dans une discussion totalement libre, tel est l'objectif idéal, afin de permettre aux politiciens qui ne savent pas ce qu'ils font d'entreprendre des actions de gouvernement qui assureront le salut du monde."

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7. Point de vue du savant

Jusqu'ici l'homme de science s'est voué, par devoir d'état, à la connaissance. C'est dire que les problèmes de morale ou de métaphysique échappent à son domaine. La science parle à l'indicatif, elle ne parle pas à l'impératif. Selon la formule de Claude Bernard, le domaine de la science est le milieu des choses, et non pas l'origine ni la fin. Cette limitation très étroite du champ d'activité de la science est légitime.
Elle a permis aux hommes de science de déployer leurs travaux sans incident de frontière avec les moralistes ou les théologiens. Cette limitation nécessaire a installé l'homme de science dans une somme de confort intellectuel. En effet, le problème de l'usage des découvertes scientifiques est un problème éthique : il ne le concerne plus. Le devoir social de l'homme de science est d'accroître le patrimoine des connaissances humaines. Ce devoir s'arrête à la sortie du laboratoire. L'homme de science devient alors un homme de la rue, un citoyen comme les autres habitants de la planète, et rien ne l'autorise, sous peine d'abus de confiance, d'utiliser de son autorité d'homme de science pour imposer des vues éthiques ou métaphysiques qui appartiennent à des catégories étrangères à la science elle-même.

Il se trouve pourtant que le pouvoir sans mesure que la science donne aux hommes confère à l'activité de l'homme de science une dimension nouvelle. Comment répondre à cette situation nouvelle pour l'homme de science : comment échapper à un sentiment de responsabilité même indirecte ? "L'écharde du sentiment de culpabilité est implantée dans les consciences scientifiques" (R.P. Dubarle). Les formes d'engagement proposées jusqu'ici n'ont pas paru adaptées à la psychologie du scientifique. Des appels condamnant les bombes atomiques ont été lancés par des Prix Nobel prestigieux. Ces appels apparaissent essentiels pour l'éducation de la conscience universelle. Ils apparaissent comme la révolte de conscience scientifique et répondent à une exigence intérieure fondamentale des savants. Il se trouve pourtant que cette action a échoué. L'échec fut complet auprès des hommes de gouvernement car aucun de ces appels n'a empêché une bombe atomique d'éclater. L'échec fut complet auprès des hommes de science, car une infime minorité a adhéré à ce mouvement. Est-ce à dire que tous ceux qui ne se sont pas engagés ne rêvent que de la fin des humains ? Nullement. Lord Bertrand Russell propose d'entreprendre des marches de la paix dans les rues de Londres ; là encore cette agitation méritoire apparaît comme inadaptée aux problèmes gigantesques qu'elle voulait résoudre. La formule proposée par l'Institut de la Vie a obtenu l'adhésion des savants qui jusqu'ici avait refusé les autres formes d'engagement social.

Maurice Marois, 1960

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