L'Institut de la Vie a suscité immédiatement un attentif intérêt auprès de toutes les spiritualités.
Les débats entre science et religions furent souvent difficiles. Mais les oppositions ne devaient pas apparaître comme fondamentales. Les observations du savant le conduisent à émettre des hypothèses pour compléter sa vision de l'univers dont il explore les lois. Cette vision est de nature contemplative. Ses hypothèses le conduisent à l'action, c'est-à-dire à entreprendre des expériences vérificatrices. Cette attitude, cette exploration d'un univers qui se révèle plus grand, plus beau, plus riche, plus complexe que les plus somptueux des rêves ne peut pas laisser indifférent l'homme de science. Mais si sa règle d'action reste la froide raison, guidée par une implacable logique, l'ascèse de l'homme de science ne peut pas dépouiller totalement l'homme. L'admiration, le respect, l'amour jaillissent au cœur des plus généreux, des plus lucides et des plus complets des scientifiques.
Dans l'Institut de la Vie, les hommes de science ont une logique de valeurs
: respect, responsabilités.
La nécessité d'une telle logique s'impose comme inéluctable
dans l'esprit des savants à cause des dimensions nouvelles de la
science c'est-à-dire du pouvoir sans mesure qu'elle donne
à l'homme.
Ce langage de modestie est neuf, si on l'oppose à l'ivresse
primaire des scientistes du XIXè siècle, de Marcellin Berthelot
et de la frange des philosophes qui l'ont suivi. Une nouvelle ivresse
primaire menace aujourd'hui non plus quelques philosophes abusés
mais de grandes masses humaines : lorsque Gagarine dans son spoutnik proclame
: je suis dans le ciel et je n'ai pas rencontré Dieu, c'est
un mauvais usage d'une prouesse technique. Elle réserve à
ceux qui y céderont des réveils de désespoir.
Peut-être la biologie a-t-elle parmi les sciences et parmi les hommes une mission providentielle. S'il est vrai que la création clame la gloire de Dieu, elle la clame d'autant plus profondément par sa forme achevée qu'est le protoplasme humain. S'il est vrai que la vie est une prise de possession de la matière par l'esprit, peut-être les biologistes, à cause de leur objet d'étude, permettront-ils à la science, et au-delà d'elle aux hommes, de retrouver le chemin de l'esprit.
L'expérience des hommes qui ont animé jusqu'ici l'Institut de la Vie est riche d'enseignements. Car le thème de la vie, proposé par des hommes objectifs, sincères et de disponibilité d'esprit que la grâce, chez certains, transforme en universelle charité, suscite chez tous ceux qui le rencontrent des réactions d'une bouleversante spontanéité. Une fibre profonde est touchée, même chez les plus secrets des êtres, qui livrent alors leur credo ou leur désespoir.
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Et la conclusion de Denis Forestier, par exemple, est particulièrement significative : "De tout notre vouloir, nous soutenons l'Institut de la Vie."
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Les rencontres universitaires internationales se sont déroulées
à Angers en 1962, avec la participation de quarante nations. Le Tiers-Monde
(Afrique, Europe Orientale, Amérique du Sud) les Pays de l'Est
(Russie soviétique, Pologne, Tchécoslovaquie, Bulgarie, etc.)
l'Europe et l'Amérique étaient présentes. L'affrontement
entre l'Institut de la Vie et les pays de l'Est est apparu pour les animateurs
de l'Institut de la Vie comme une sorte de répétition générale
de l'aventure universelle que l'Institut de la Vie doit vivre. Les
résultats de cet affrontement ont révélé la puissance
des idées qui sont en marche sous l'impulsion de l'Institut
de la Vie.
Les Soviétiques étaient venus, les valises pleines de documents
de propagande adaptés à chaque nation et à chaque interlocuteur,
à chaque problème. Les hommes de l'Institut de la Vie étaient
venus les mains nues. A la fin d'une semaine de débats, la situation
se résumait ainsi :
Le Professeur Poirier qui participait au nom de l'Institut
de la Vie à ces débats apporte le témoignage suivant,
qui confirme le point de vue du représentant gabonais :
"Avouerai-je que j'ai été récemment surpris, et presque
déconcerté, à l'occasion d'une réunion internationale
de jeunes, de voir quel zèle ce thème de la défense
et du développement de la vie avait suscité chez de jeunes
intellectuels de tous les pays et notamment de ce que l'on appelle aujourd'hui
assez souvent "Le Tiers-Monde" ? Ils s'en sont emparés comme d'une
espèce de drapeau, pour en couvrir une spiritualité encore
mal définie, mais fervente, qui cherche à se formuler d'une
manière originale en s'opposant à la fois à la dogmatique
matérialiste et à la décevante orthodoxie communiste,
et aux divers spiritualismes ou aux diverses religions liés à
la tradition européenne. Le thème de la vie leur semblait
avoir quelque chose de plus universel, où chaque peuple peut apporter,
à droit égal, sa contribution, quelque chose aussi de plus
directement lié au progrès de la science."
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Le problème posé par la science est un problème de liberté. Le drame du monde est que la science sécrète la puissance et que la puissance asservit la science. La liberté est essentielle à la création scientifique. Le libre examen, la liberté d'accès à quelque domaine que ce soit est la règle d'or de la science. La science sort d'un combat difficile avec les religions qui imposent des restrictions aux démarches de l'esprit. Ce combat est aujourd'hui gagné. Mais il apparaît que de nouvelles menaces pèsent sur la liberté de la science. Le pouvoir temporel que la science donne aux hommes est annexé par la volonté de puissance politique des nations, ou la volonté de puissance des grands groupes industriels. Les limitations de la liberté se traduisent par :
Aussi, les syndicats ouvriers qui représentent la multitude des hommes désirent aider les hommes de science à maintenir leur liberté contre les menaces nouvelles qui pèsent sur la connaissance. Le point de vue des Syndicats, soucieux de liberté, de défense de l'homme, rejoint celui de Martin Buber.
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Qui, devant le programme de l'Institut de la Vie, eut la réaction suivante : seul compte le réveil des savants.
Au cours d'une conversation privée, Martin
Buber a réagi en ces termes devant les idées de l'Institut
de la Vie :
"J'ai 84 ans, il m'arrive quelque fois d'être inquiet. Il m'arrive de
m'éveiller la nuit en pensant à ce qui se prépare en Russie
Soviétique, aux Etats-Unis, et demain en Chine. Le drame de la condition
de l'homme c'est que quelque mouvement involontaire ou volontaire peut décider
du sort de la civilisation. Dans cette situation instable, à quoi peut
s'attacher l'esprit humain ? Je n'ai pas cette quiétude du cœur
qui me ferait dire : dans dix ans, lorsque les hommes auront entrepris telle
action, le monde ira mieux. Je ne me sens pas le droit d'être optimiste.
Je n'ose pas non plus être pessimiste. L'offre de l'Institut de la Vie
s'inscrit dans le tempo de Dieu. Mais il faut savoir qu'il y a le tempo de Dieu
et le tempo historique. Le tempo historique est le succès d'ici-bas.
Le tempo de Dieu en apparence n'a pas de succès. Telle la semence qui
dans la terre doit se décomposer pour que pousse la plante nouvelle.
Discerner dans ce tempo de la science, quels sont les intérêts
contradictoires, entre les camps antagonistes, mettre en lumière les
intérêts communs, dans une discussion totalement libre, tel est
l'objectif idéal, afin de permettre aux politiciens qui ne savent pas
ce qu'ils font d'entreprendre des actions de gouvernement qui assureront le
salut du monde."
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Jusqu'ici l'homme de science s'est voué, par devoir
d'état, à la connaissance. C'est dire que les problèmes
de morale ou de métaphysique échappent à son domaine. La
science parle à l'indicatif, elle ne parle pas à l'impératif.
Selon la formule de Claude Bernard, le domaine de la science est le milieu des
choses, et non pas l'origine ni la fin. Cette limitation très étroite
du champ d'activité de la science est légitime.
Elle a permis aux hommes de science de déployer leurs travaux sans incident
de frontière avec les moralistes ou les théologiens. Cette limitation
nécessaire a installé l'homme de science dans une somme
de confort intellectuel. En effet, le problème de l'usage des découvertes
scientifiques est un problème éthique : il ne le concerne plus.
Le devoir social de l'homme de science est d'accroître le
patrimoine des connaissances humaines. Ce devoir s'arrête à
la sortie du laboratoire. L'homme de science devient alors un homme de
la rue, un citoyen comme les autres habitants de la planète, et rien
ne l'autorise, sous peine d'abus de confiance, d'utiliser
de son autorité d'homme de science pour imposer des vues éthiques
ou métaphysiques qui appartiennent à des catégories étrangères
à la science elle-même.
Il se trouve pourtant que le pouvoir sans mesure que la science donne aux hommes confère à l'activité de l'homme de science une dimension nouvelle. Comment répondre à cette situation nouvelle pour l'homme de science : comment échapper à un sentiment de responsabilité même indirecte ? "L'écharde du sentiment de culpabilité est implantée dans les consciences scientifiques" (R.P. Dubarle). Les formes d'engagement proposées jusqu'ici n'ont pas paru adaptées à la psychologie du scientifique. Des appels condamnant les bombes atomiques ont été lancés par des Prix Nobel prestigieux. Ces appels apparaissent essentiels pour l'éducation de la conscience universelle. Ils apparaissent comme la révolte de conscience scientifique et répondent à une exigence intérieure fondamentale des savants. Il se trouve pourtant que cette action a échoué. L'échec fut complet auprès des hommes de gouvernement car aucun de ces appels n'a empêché une bombe atomique d'éclater. L'échec fut complet auprès des hommes de science, car une infime minorité a adhéré à ce mouvement. Est-ce à dire que tous ceux qui ne se sont pas engagés ne rêvent que de la fin des humains ? Nullement. Lord Bertrand Russell propose d'entreprendre des marches de la paix dans les rues de Londres ; là encore cette agitation méritoire apparaît comme inadaptée aux problèmes gigantesques qu'elle voulait résoudre. La formule proposée par l'Institut de la Vie a obtenu l'adhésion des savants qui jusqu'ici avait refusé les autres formes d'engagement social.
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