Une des sections du tome I des Documents pour l'Histoire s'intitule
"Pierres blanches". Voici ce qu'en dit Maurice Marois dans
son introduction : "Le parcours de l'Institut de la Vie est marqué
de pierres blanches. La défense de la vie a inspiré à de
beaux esprits des textes qui sont d'importants témoignages."
Dans ce regroupement d'articles figurent quelques uns de ceux qui informaient
les lecteurs de la revue Médecine de France que nous reproduisons ici.
L'INSTITUT DE LA VIE
REVUE MEDECINE DE FRANCE 1963
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La revue MEDECINE DE FRANCE est
heureuse et honorée de présenter dans ce numéro l'importante
création de l'Institut de la Vie. Le Professeur agrégé
Maurice Marois et François de Clermont-Tonnerre en exposent le
sens et les buts. Jean Rostand et Gabriel Marcel éclairent ensuite
certains aspects fondamentaux du haut lieu de pensée et de recherche
que se veut être l'Institut de la Vie. Médecine de France
publiera d'autres textes essentiels, notamment ceux de MM. Jacques Rueff,
René Poirier, et Louis Armand. |
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Pour la première fois, l'homme, cet aboutissement, tient lui-même
les clés de son évolution future. L'homme détient désormais
le pouvoir d'abolir toute forme supérieure de vie. Il en ressent une
confuse inquiétude, et la grandeur de son choix l'obsède.
Il peut en concevoir une issue pessimiste, verser dans le scepticisme, le désabusement.
Ce n'est pourtant pas l'effroi de périr, mais l'ambition de vivre qui
a jeté l'homme dans l'exploration de la nature, sur les routes de l'air,
à la conquête de l'espace.
Physiciens et philosophes se sont déjà inquiétés
des conditions dans lesquelles évolue notre civilisation.
Aujourd'hui, ce sont les biologistes qui sortent de leur tour d'ivoire. Ils ont puisé dans leur science des raisons d'admirer, et de respecter la vie. Ils sont conscients du pouvoir que la science donne aux hommes. Ils désirent exercer leur responsabilité sociale en enseignant à tous la valeur de la vie et l'obligation de la sauvegarder.
Dès lors, aux côtés des ingénieurs occupés à organiser les ressources et les liaisons de la terre, ils veulent grouper avec eux, dans un haut lieu, d'autres responsables de l'avenir chargés de définir et de propager les buts concrets, de plus en plus élevés, sur lesquels doit dans le futur se concentrer l'effort des activités humaines.
Ce haut lieu, c'est l'Institut de la Vie. Haut lieu de pensée et de recherche, organisme aussi d'action par le moyen de la conscience universelle, haut lieu où serait ouvert le dialogue de la science et des hommes, examinés tous les aspects de notre condition et préparées les réponses aux grandes options biologiques et éthiques devant lesquelles l'humanité se trouve placée. Y sont étroitement associés des hommes de toutes les disciplines de pensée, de tous les types d'activité, de tous les continents.
Ces hommes libérés de toute arrière-pensée politique ou philosophique, de tout préjugé d'origine, de couleur ou de nationalité, veulent analyser la situation dans laquelle la science place l'humanité et prendre la mesure de leurs responsabilités envers l'ensemble des êtres vivants dont ils sont solidaires ou dépendants, et envers le destin de leur propre espèce dont ils sont comptables. Ils chercheront à déterminer, dans les forces qui s'affrontent, les composantes positives et à les faire converger vers une conception commune de l'avenir.
Deux lignes d'action se sont dessinées :
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Issue d'une conjonction si précieuse et significative qu'elle suffirait à nous rassurer sur son destin, puisqu'en lui s'unissent les biologistes et les anciens combattants, les hommes de curiosité et les homme de sacrifice, ceux qui cherchent à savoir ce que c'est que la vie et ceux qui savent ce que c'est que la mort, ceux qui s'attachent à déchiffrer les secrets du protoplasme et ceux qui ont ressenti dans leur chair l'urgence de la solidarité humaine, l'Institut de la Vie est appelé, nous n'en doutons pas, à jouer un rôle éminent dans l'évolution de nos collectivité.
Notre ambition de principe, avouons-le, n'est point modeste, puisqu'elle
ne vise à rien de moins que voir s'ébaucher en lui cette
conscience commune qui, jusqu'ici, manquait aux hommes et qui leur sera
de plus en plus nécessaire pour coordonner, au besoin contrôler,
les effets matériels et moraux d'un pouvoir sans cesse grandissant.
Mais aussi, plus humblement, nous pensons qu'alors même qu'une
si vaste mission lui serait refusée, il aurait encore devant lui la perspective
d'une activité sérieuse et féconde.
De toute manière, à partir du moment où quelques hommes
avaient conçu l'idée d'un tel Institut de la Vie,
ils ne pouvaient que mettre tout en œuvre pour lui faire prendre corps.
Il eût été inadmissible qu'un si beau rêve s'étant
offert à des intelligences, elles s'y fussent dérobées.
La grandeur féconde de votre projet, nous en percevons l'un de signes
dans le fait qu'il a su rallier tout de suite autour de l'idéal qu'il
incarne des bonnes volontés qu'on eût pu, de prime abord, juger
inconciliables.
Voilà que désormais, grâce à vous, près de
vous, elles veulent s'unir et travailler de concert, car elles savent que l'entreprise
mérite les sacrifices de leurs désaccords. Je dirai même
davantage : elles trouvent une satisfaction de rare saveur à négliger
ce qui les sépare, pour ne songer qu'à ce qui les unit.
Qui donc refuserait d'être mobilisé, requis, au service de la Vie,
au service de l'Homme ? qui donc, au nom d'une opinion politique, d'une idéologie
particulière, d'une doctrine partisane, oserait vous refuser son concours,
quand il s'agit de rechercher honnêtement, loyalement, sereinement, les
justes moyens de défendre l'homme contre lui-même et l'humain contre
les hommes ? Qui ne tiendrait à honneur de s'engager dans une si haute
aventure ?
Considérables déjà sont les forces spirituelles qui vous
soutiennent. Elles ne cesseront de s'accroître, j'en suis certain, à
mesure que s'éclaireront vos desseins, que se dégageront vos objectifs,
que se situeront plus précisément les points d'application de
vos efforts , et surtout à mesure que vous aurez fait la preuve de votre
désintéressement, de votre probité intellectuelle, de votre
souci exclusif de l'humain, de votre entière indépendance à
l'égard des puissances matérielles et des pouvoirs établis,
de votre courage moral, enfin qui ne devra jamais hésiter à prendre
nettement parti, chaque fois que l'exigera l'intérêt bien entendu
de votre cause.
… Défendre la vie n'est pas chose facile, même en théorie,
et les fondateurs de l'Institut de la Vie savent que leur respect même
de la vie souffre de contradictions internes. Car la vie s'entend à travailler
contre la vie… Le problème de la surpopulation est l'un des plus
dramatiques, des plus angoissants de l'heure. Faudra-t-il, un jour, en venir
à empêcher de naître pour se permettre d'empêcher de
mourir ? Quand la science aura fourni les moyens de prolonger la vie de chacun,
devra-t-on, aux vieillards sacrifier les enfants à naître, et raréfier
les berceaux afin de faire attendre les tombes ?
"Comment vous arrangez-vous, disait Vercors, avec le caractère
sacré de la vie humaine ?"
Mais ces difficultés, ces ambiguïtés, ces conflits de scrupules
ne sont pas propres aux défenseurs de la vie ; ils sont le lot de tous
les idéalismes humains, pour peu qu'ils veuillent passer à l'acte.
Est-ce que la liberté, quelquefois, ne fait pas échec à
la liberté ? est-ce que la justice ne s'insurge pas contre la justice
?
… Si un groupe d'hommes s'est donné pour mission, en 1962, de défendre la vie humaine, ce n'est nullement qu'ils tiennent la vie pour l'unique valeur digne d'être défendue. Mais il leur semble qu'il y a présentement assez de gens pour mésestimer la vie humaine, pour en méconnaître le prix. Ils pensent que si notre civilisation est théoriquement fondée sur le respect de la vie, elle n'en aboutit pas moins, de par la fatalité de son développement, à des situations de fait qui en sont la plus flagrante négation. C'est délibérément qu'ils choisissent de se faire les avocats opiniâtres de la vie. Leur partialité est voulue, leur sectarisme conscient.
En donnant la priorité aux intérêts de la vie humaine, ceux qui parmi nous sont des biologistes ont le sentiment de rester fidèles à leur vocation profonde. Sachant un peu mieux que la plupart de leurs frères humains ce que représente un être humain, ce que représente l'espèce humaine, comment ne se tiendraient-ils pas pour électivement et spécifiquement commis à veiller sur cette œuvre maîtresse de la nature qu'est le patrimoine chromosomique de l'Homo sapiens ?
D'un héritage sacré - comme dit Muller, et ce qualificatif, avec ou sans prolongement métaphysique, est le seul qui convienne - ils se sentent comptables envers tous. S'ils manquaient à leur devoir de sauvegarde, ils se sentiraient coupables du délit de non-assistance envers l'avenir.
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Ceci s'éclaire, dans une certaine mesure, si l'on observe que l'idée de dépassement, à laquelle on est obligé d'avoir recours, peut correspondre à deux mouvements très différents l'un de l'autre : la poussée elle-même est bien dépassement, mais, pourrait-on dire, dépassement horizontal : aller de l'avant, continuer, c'est bien dépasser, mais sans changer de niveau. Or lorsque Simmel rappelle que "vivre, c'est aussi plus que vivre" il a en vue quelque chose de tout différent… Le fait que la vie… (mieux vaudrait d'ailleurs dire le vivre) tende vers une organisation ou une structuration, qui est au-delà du processus, dans la mesure même où elle en est l'accomplissement ; or, si l'on peut parler de valeur, il est manifeste que c'est exclusivement en référence à cette seconde espèce de dépassement.
Le professeur Marois, dans son excellent exposé introductif, a déjà insisté avec juste raison sur la précarité de la vie. Et tout indique qu'il y a, pour lui comme pour bien d'autres, une étroite relation entre le précaire et le précieux. Mais ce qui est menacé, aujourd'hui, ce n'est pas la vie considérée comme poussée, ou comme obstination, ce sont les formes dans lesquelles elle s'accomplit et se dépasse ; et cela, d'autant plus que ces formes sont à la fois plus complexes et mieux unifiées, c'est-à-dire plus organisées.
Plusieurs questions liées entre elles doivent, me semble-t-il, être
posées ici par le philosophe au biologiste.
Ce dernier admet-il, ou peut-il se dispenser d'admettre l'existence d'une hiérarchie
des structures ? S'il l'admet, croit-il possible de ne pas introduire ainsi,
du même coup, un élément axiologique ?
Mais d'autre part, un biologiste ne sera-t-il pas spontanément en défiance
contre l'indice de subjectivité qui risque d'affecter cet élément
?
En ce qui me concerne, il me paraît difficile, dans la ligne de recherche
qui est la nôtre, de ne pas prendre comme point de départ - ou
plus exactement comme axe de référence - les modalités
de la vie que nous rencontrons chez l'homme.
Ce qui nous apparaît aujourd'hui comme spécialement menacé,
ce sont ces modalités. Il y a d'ailleurs sûrement lieu de faire
intervenir, ainsi qu'on l'a fait observer l'autre jour, un certain milieu vital
appelé biosphère et en dehors duquel la vie humaine ne
saurait subsister.
Mais le point sur lequel je voudrais personnellement attirer l'attention, c'est
qu'à partir du moment où nous pensons à la vie humaine,
nous sommes, semble-t-il, inévitablement conduits à outrepasser
les limites du domaine strictement biologique.
Et ici se vérifie clairement la formule de Simmel. Ne constatons-nous
pas, en effet, que la vie humaine se développe non pas seulement ou principalement
selon la ligne de poussée horizontale, mais entre des niveaux qui ne
peuvent être appréciés, si j'ose dire, qu'axiologiquement
?
C'est une question difficile et, mes semble-t-il, très obscure, que de
savoir si le biologiste, en tant que tel - ces mots ont-ils d'ailleurs un sens
? - peut éclairer de façon appréciable ce que j'appellerai
le champ axiologique.
En des sens d'ailleurs très différents, Nietzsche d'une part,
Bergson et ses successeurs, de l'autre, ont cru à cette possibilité.
Il me paraît d'ailleurs évident que cette possibilité est
postulée par le projet sur lequel nous avons à réfléchir
aujourd'hui.
Pour ma part, je me garderai d'adopter sur ce point une position catégorique.
Je m'élèverai seulement contre des affirmations souvent sommaires
et aventurées qui ne me semblent pas reposer sur un examen suffisamment
précis des notions fondamentales.
Ces considérations peuvent, au premier abord, paraître terriblement
abstraites. Mais, en réalité, nous avons à reconnaître
que, du fiat du prodigieux développement des techniques qui s'est poursuivi
depuis un quart de siècle, des problèmes pratiques entièrement
nouveaux, et qui auraient été inimaginables pour nos devanciers,
se posent avec un caractère d'urgence tel qu'ils ne peuvent absolument
plus être éludés.
Mais il ne suffit plus de savoir si l'on peut exercer telle action transformante
sur le vivant qu'est l'être humain. Il faut encore, et avant tout, se
demander si cette action est justifiable ou non, désirable ou non, licite
ou non ?
Et comme préalable à ces questions particulières, une question
surgit qui porte sur la légitimité de ces questions elles-mêmes,
et tout spécialement sur le bien ou le mal-fondé de la distinction
entre le licite et l'illicite.
Je n'aperçois pas, quant à moi, par quel biais le biologiste
comme tel pourrait, je ne dis même pas y répondre, mais la poser.
On pourrait prendre ici des exemples aussi divers que les restrictions à
la natalité, que la parthénogenèse artificielle, l'insémination
artificielle, l'euthanasie, et combien d'autres ?
Je dois pourtant avouer que je ne me satisfais pas de la solution traditionnelle
qui consiste à dissocier radicalement la part du biologiste et la part
de celui que, jusqu'à une époque récente, on appelait encore
couramment le moraliste. Il me paraît difficiles de contester
que l'idée traditionnelle du moraliste est aujourd'hui l'objet d'un discrédit
presqu'universel, et, avec elle, une certaine façon beaucoup trop dogmatique,
beaucoup trop sommaire, de concevoir la normativité.
Celle-ci ne me paraît pas impliquée nécessairement par
une axiologie digne de ce nom. J'ai le sentiment - je dois le dire, confus -
qu'une coopération doit être tentée beaucoup plus étroitement
qu'elle ne le fut jamais, en raison même de l'urgence à laquelle
j'ai fait allusion, entre des modes de réflexion qui s'exercent initialement
sur des types d'expériences très divers, mais qui doivent néanmoins
se rejoindre, faute de quoi ‘unité de l'homme - et ajouterai-je
même, de l'humain dan l'homme - serait non seulement compromise, mais,
en fin de compte, définitivement brisée.
Dans cette perspective, c'est cette préoccupation de l'unité qui
doit être comme le fil conducteur de notre recherche.
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