« L'offre de l'Institut de la Vie s'inscrit dans le tempo de Dieu. Mais il faut savoir qu'il y a le tempo de Dieu et le tempo historique. Le tempo historique est le succès d'ici-bas. Le tempo de Dieu en apparence n'a pas de succès. Telle la semence qui dans la terre doit se décomposer pour que pousse la plante nouvelle. Discerner dans ce tempo de la science, quels sont les intérêts contradictoires, entre les camps antagonistes, mettre en lumière les intérêts communs, dans une discussion totalement libre, tel est l'objectif idéal, afin de permettre aux politiciens qui ne savent pas ce qu'ils font d'entreprendre des actions de gouvernement qui assureront le salut du monde. »
Haut de page |
Le 16 mai 1962, Jérusalem.
Cher Professeur et Ami,
Votre apparition à Jérusalem, trop courte, reste un vivant souvenir pour nous, que ranime votre lettre dont je vous remercie. Votre appel éveille en moi des échos si profonds….réceptacles, sans doute, d'une même voix et d'une même exigence qu'il nous faut écouter. J'attendrai le retour d'Abba Even (il est en Grèce) pour reprendre avec lui la conversation au sujet de l'Institut de la Vie (quel beau nom !) : je vous dirai les progrès du projet, dont vous avez déjà profondément enfoncé les racines dans cette Terre. Ma femme se joint à moi pour vous envoyer, avec les hommages que je présente à Mme Marois, nos plus amicales pensées. |
Haut de page |
Empêché, à mon très vif regret, de me trouver aujourd'hui parmi vous, je tiens, du moins, à m'associer, par l'esprit et pas le cœur, à tous ceux qui, à vos côtés, vont s'appliquer à affermir l'existence et à préciser la personne de ce jeune « Institut de la Vie » que nous avons vu naître il y a seulement quelques mois, et qui, animé par votre idéalisme lucide, éveille déjà en tous lieux une attention chargée d'espoir.
Issu d'une conjonction si précieuse et significative qu'elle suffirait à nous rassurer sur son destin – puisqu'en lui s'unissent les biologistes et les Anciens Combattants, les hommes de curiosité et les hommes de sacrifice, ceux qui cherchent à savoir ce que c'est que la vie et ceux qui savent ce que c'est que la mort, ceux qui s'attachent à déchiffrer les secrets du protoplasme et ceux qui ont ressenti dans leur chair l'urgence de la solidarité humaine –, l'Institut de la Vie est appelé, nous n'en doutons point, à jouer un rôle éminent dans l'évolution de nos collectivités. Notre ambition de principe, avouons-le, n'est point modeste, puisqu'elle ne vise à rien de moins que voir s'ébaucher en lui cette conscience universelle qui jusqu'ici manquait aux hommes et qui leur sera de plus en plus nécessaire pour coordonner et, au besoin, contrôler les effets matériels et moraux d'un pouvoir sans cesse grandissant. Mais aussi, plus humblement, nous pensons qu'alors même qu'une si vaste mission lui serait refusée, il aurait encore devant lui la perspective d'une activité sérieuse et féconde.
De toute manière, à partir du moment où quelques hommes avaient conçu l'idée d'un tel Institut de la Vie, ils ne pouvaient qu'ils ne missent tout en œuvre pour lui faire prendre corps. Il eût été inadmissible qu'un si beau rêve s'étant offert à des intelligences, elles s'y fussent dérobées.
La grandeur féconde de votre projet, nous en percevons déjà l'un des signes dans le fait qu'il a su rallier tout de suite, autour de l'idéal qu'il incarne, des bonnes volontés qu'on eût pu, de prime abord, juger inconciliables. Voilà que, désormais, grâce à vous, près de vous, elles veulent s'unir et travailler de concert, car elles savent que la commune entreprise mérité le sacrifice de leurs désaccords. Je dirai même davantage : elles trouvent une satisfaction de rare saveur à négliger ce qui les sépare pour ne songer qu'à ce que les assemble.
Qui donc refuserait d'être mobilisé, requis au service de
la vie, au service de l'Homme ?
Qui donc, au nom d'une opinion politique, d'une idéologie
particulière, d'une doctrine partisane, oserait vous refuser son
concours, quand il s'agit de rechercher honnêtement, loyalement,
sereinement, les justes moyens de défendre l'Homme contre lui-même,
et l'humain contre les hommes ? Qui ne tiendrait à honneur de s'engager
dans une si haute aventure ?
Considérables, déjà, sont les forces spirituelles qui
vous soutiennent. Elles ne cesseront de s'accroître, j'en
suis certain, à mesure que s'éclaireront vos desseins, que
se dégageront vos objectifs, que se situeront plus précisément
les points d'application de vos efforts. Et surtout à mesure que
vous aurez fait la preuve de votre désintéressement, de votre
probité intellectuelle, de votre souci exclusif de l'humain, de
votre entière indépendance à l'égard des puissances
matérielles et des pouvoirs établis, de votre courage moral enfin,
qui ne devra jamais hésiter à se manifester, à prendre
nettement parti, chaque fois que l'exigera l'intérêt
bien entendu de votre cause.
C'est par ses actes que l'Institut de la Vie démontrera son
utilité et conquerra son autorité.
Je ne doute pas que la présente journée – qui va se dérouler dans un si beau cadre – ne soit, pour lui, l'occasion d'un progrès substantiel, car, à chacune des réunions où j'eus le privilège de participer, j'ai eu la satisfaction d'entendre des paroles qui n'étaient pas seulement des mots, mais des témoignages de l'âme et des promesses d'action.
Avec tous mes vœux d'heureux travail, je vous prie d'agréer, Messieurs les Présidents et chers amis, l'assurance de mon affection fidèle et de mon entier dévouement.
Haut de page |
J'ai rencontré hier Charles Noël Martin et lui ai parlé de l'Institut de la Vie. Ce projet l'intéresse au plus haut point. Vous vous rappelez peut-être que dans une communication adressée à l'Académie des Sciences, il a été le premier en France à mettre l'accent sur les dangers des expériences atomiques au point de vue biologique, et a reçu les félicitations d'Einstein à qui il va d'ailleurs consacrer un livre dans lequel il insistera beaucoup sur les préoccupations humaines du savant. Je crois qu'il serait très important que vous le voyiez, car ses inquiétudes sont exactement les nôtres. J'ajoute qu'il est en très bons termes avec Jean Rostand.
J'ai reparlé à René Poirier. Pour autant que j'aie compris, le point de désaccord entre vous et lui, c'est qu'il lui paraît imprudent de vouloir tirer du postulat d'après lequel la vie est en soi une chose bonne des conséquences pratiques aussi graves que la condamnation des procédés anti-conceptionnels. Il estime comme moi que des jugements de valeur doivent ici intervenir, faute desquels on ne peut pas savoir dans quelles conditions la vie est bonne ou ne l'est pas. Je voudrais du reste, dans le courant du mois de Mai, organiser une petite rencontre avec lui, avec Messieurs Huet, Bertaux, Goldman et éventuellement Burgelin, car il faut vraiment que nous nous mettions au travail.
Jean Rostand a répondu à ma lettre d'une façon tout à fait cordiale.
Veuillez croire, cher Monsieur, à mes sentiments les plus sympathiquement dévoués et présenter mon respectueux souvenir à Madame Marois.
Haut de page |
Retour à la page d'Accueil | © Marie-Elisabeth Marois 2008 |